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Bois ambrés et narines irritées - Hummm... pique-moi, canaille !

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Les tendances suivent les innovations et les grandes découvertes, ce n'est pas nouveau, et c'est également applicable en parfumerie, domaine qui évolue main dans la main avec le secteur de la chimie, en plein essor. Il y eu la vanilline et la coumarine à la fin du XIXème siècle, les aldéhydes des années 20 à 40 surtout, la Calone et les notes ozoniques dans les années 80/90, et depuis quelques années, ce sont les "bois ambrés", comme les appellent les parfumeurs, qui semblent être la nouvelle matière à succès en parfumerie. Et leur utilisation ne semble que commencer : Karanal, Amber Xtrem, Cedramber, Ambrocénide, Palissandrol, Trimofix... chez les perfumistas, on les appelle vulgairement "bois qui piquent". Et pour cause...

"Bois ambré", voilà une famille olfactive de matières premières odorantes qui pourrait laisser présager des bois cédrés, ambrés de baumes et de résines, entre santal et vétiver. Oui mais non... Il faut replacer le contexte : cette famille de molécules a pour ancêtre l'Ambroxan, molécule de synthèse née en 1950, totalement artificielle, qui a été obtenue à partir du sclaréol contenu dans l'essence de sauge. L'Ambroxan se veut une retranscription de l'ambre gris, et non de l'ambre "oriental", fait quant à lui de résines, de vanille et de fève tonka. Même si on comprends alors mieux le pourquoi de l'appellation "ambrée" de ces bois, euh... le Karanal ne sent pas l'ambre gris, et est loin d'en avoir les effets. Ou alors de loin, trèèèèès loin, de dos, dans le noir, et dans le brouillard !
Seul l'Ambroxan est (relativement) proche de la concrétion stomacale de cachalot.

Mais alors que sentent ces molécules détestées des perfumistas connaisseurs ?
Imaginez une odeur boisée, tellement poussiéreuse et râpeuse qu'elle vous arrache la gorge et s'insinue jusque dans les tréfonds de votre cerveau en faisant tressaillir le moindre de vos neurones. 
En passant dans votre nez, il tire sur vos nerf olfactifs en s'en servant comme d'une corde de guitare.
Impactant, hystérique, claquant, surpuissant, tellement insoutenables qu'à forte concentration, mon nez développé la faculté de resserrer ses parois pour bloquer l’accès des capteurs olfactifs à ces molécules du diable. Vous savez, cette même réaction lorsque vous vous prenez un nuage de fumée de cigarette en pleine poire alors que vous n'êtes pas fumeur.

Ou alors, imaginez que l'on vous perce les tempes à coupe de forets de perceuse tout en vous ramonant le nez d'un vas et viens vicieux à coup de ronces, de fil barbelé et de branches de rosiers bien hérissées d'épines (et sans roses !).

Bois qui pique... - source : http://anitaasblog.over-blog.com

La palme de la surpuissance revient à l'Amber Xtreme et au Karanal. Ils hantent surtout les sillages des parfums masculins modernes, plutôt pas chers il faut bien l'avouer. Ben oui, on a pas besoin d'en mettre beaucoup dans la formule, et paf... ça sent fort !
Et ça sent l'homme dans l'esprit des gens, parce que "quand ça sent fort mais que c'est frais, c'est pour les hommes" (comprendre par "c'est frais" = "j'aime bien"). Bien sûr, on ne compte plus le nombre de fois où on les retrouve en parfumerie de niche, notamment pour tenter de redonner l'illusion d'un bois de oud ou booster un boisé un peu "original" selon  la marque. Seulement, il y a une différence entre l'hédione qui peut être utilisée en proportion considérable dans une formule pour donner extension et transparence tout en ayant la capacité de se fondre sans tout fagocyter, et un truc surpuissant qui plombe tout sur son passage. A ce que je sache, ça fait 3000 ans au moins qu'on utilise la civette et le castoréum, mais toujours personne n'a eu l'idée de les utiliser à plus de 10% dans un parfum, ou d'en faire un solinote !
Alors chers amis parfumeurs, allez une bonne douche froide lorsque vous approchez votre main en bavant vers un flacon d'Ambrocénide !

Le problème, c'est que certains ne les sentent pas, comme les muscs. Il y a ceux qui y sont anosmiques, et ceux qui n'y sont pas sensibles tant qu'ils n'ont pas saisi "toutes les subtilités et la finesse" de la matière. #ironie
C'est mon cas. Je ne les percevais pas avant, mais depuis que j'ai réussi à capter ce que c'était et que je réussi à les identifier dans les parfums, je ne sens que ça. Et puis il y a ceux qui aiment ça. Certains parfumeurs ont tendance à avoir la main lourde dessus, et avouent même adorer les utiliser en surdose et en mettre partout. D'autres (ou surement les mêmes !) décident même de faire des parfums-hommage au Karanal et à l'Amber Xtreme. Dernier en date : Invictus, de Paco Rabanne.

Invictus, Paco Rabanne
Pourtant, il ne faut pas voir le mal partout, ces bois-ambrés sont loin d'être inutiles. Bien au contraire ! Bien dosés, bien utilisés, ils apportent effets et texture. Pour exemple, ils hérissent Une Rose d'une couronne d'épines. Relèvent le fond sec et piquant de Portrait of a Lady et M/Mink. On les devine très subtilement dans la Treizième Heure et dans l'Heure Promise. Terre d'Hermès (Trimofix + Ambroxan)les utilise à haute dose, tout comme Alien (Cashmeran + Ambroxan), sans sombrer dans l’insupportable et c'est ce qui donne leur puissance de projection et leur sillage hallucinant.
Il faut dire que le Timofix, l'Ambroxan et le Cashmeran sont les plus vivables des bois-ambrés. Les moins extrêmes. Tout comme leur lointain cousin, le Vertofix, largement utilisé au début du XXème siècle (un des ancètres des bois-qui-pique, en somme).

Alors deuxième message aux parfumeurs : si vous êtes anosmique à une matière, c'est simple, NE L'UTILISEZ PAS, BORDEL !
Si vous les sentez bien et que vous adorez les utiliser en grande quantité, alors là je ne peux rien faire, à part prier Saint Musc Ravageur de ne jamais croiser le chemin de vos créations. Ou alors vous êtes une Germaine Cellier incomprise, ou un Ernest Beaux dans l'âme, et dans soixante ans on admirera votre avant-gardisme et on saluera votre prise de risque d'avoir osé utiliser de telles matières premières, en allant jusqu'à les surdoser. Bien que je ne sois pas certain du potentiel esthétique de ces matières lors de leur emploi en surdose, loin de la raideur verte mais plaisante du galbanum, la scintillance métallique mais irradiante et caressante des aldéhydes, ou l'aspect cuiré-vert claquant mais structurant de l'isobutyl quinoléine.
Autre inconvénient : tout comme les aldéhydes ont, suite à leur succès en parfumerie fine, envahi les produits d'hygiène courante comme les savons, les shampoings, les laques...etc, il semblerait que les bois ambrés suivent le même chemin. Quelle ne fut pas ma surprise quand j'ai découvert que c'était ma lessive qui empestait, et non le pré-ado "kékéisant" assis à côté de moi. Et je ne vous parlerai pas de la fureur dont je fus pris cet été en appliquant après la plage un après-soleil dégueulasse "subtilement boisé" !

A chaque fois que je croise un sillage apparemment uniquement composé de bois-qui-piquent, je me dis que certains parfumeurs auraient mieux fait de finir chercheurs ou artistes, ou bien collectionneurs de cabochons verts !


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