Vitriol d’œillet, lancé il y a maintenant un peu plus d'un an, ne fut pas accueilli avec plaisir chez les connaisseurs, et a déchainé les critiques et les déceptions à son sujet. Quoiqu'un peu moins, au final, que son demi-frère De Profundis, sorti dans les exclusifs quelques temps après.
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Quelle blague !
Pour en revenir à Vitriol d'Oeillet, que j'ai acheté dès sa sortie, je peux comprendre la déception de certains. On nous annonce un oeillet alors que les normes IFRA sont de plus en plus sévère sur l'eugénol et autres substances servant à reproduire la note "oeillet", et on se retrouve avec un poivre vieillot.
Après la sortie de l'Eau, l'aromatique lavasse, de Jeux de Peau, le santal gourmand et beurré peu digeste pour les habitués, et de Nuit de Cellophane, le floral qu'on-a-beau-chercher-on-comprend-pas-le-but, cette nouveauté qui sort du registre "lutensien" habituel agace un peu le perfumista qui croit assister à une lente agonie de la gamme des parfums du Palais Royal.
Mais ce bruit, cette longue râle que l'on entend, lugubre et décharnée, n'est pas le souffle d'un Serge qui s’essouffle derrière ses créations. Non ! C'est bien la complainte poussiéreuse d'un oeillet lavé de vitriol.
Si le dandysme et l’œillet, étroitement liés, sont le point de départ de Vitriol d’œillet, il faut se détacher, selon moi, de ces images pour en saisir toute la construction et ne pas le juger trop vite !
Ce qu'on peut dire, déjà, à propos de cette création, c'est qu'il s'en dégage une certaine forme d'élégance évidente.
Une élégance hautaine et distante, un menton haut et fier, un regard en coin, de haut, pour vous rabaisser... Vitriol d’œillet n'est pas un tendre.
Son caractère épicé et "vitriolé" ne le rend pas accessible à tous, à l'image de ses cousines, Tubéreuse Criminelle pour son aspect camphré radical, et Iris Silver Mist pour son état brut et glacial.
Qu'en est-il donc, de ce caractère "vitriolé" ?
Du poivre noir, de la giroflée et des clous de girofle pour suggérer l'œillet, associés à un accord floral suave, presque fruité, de violette légèrement sucrée et de rose lactée et grasse, à l'effet presque "amande douce" (héliothrope?) ; et le tout semble fonctionner à merveille, puisque il donne un effet dissonant, aigre et acide, à la limite du supportable, dans la première phase de l'évolution du parfum.
Voici donc un bel acide sulfurique suggérer olfactivement, faisant l'effet d'une bombe à la détonation plus aveuglante qu'assourdissante.
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Vitriol d’œillet, Serge Lutens 2011, ©Musque-moi! |
Après l'explosion, tonitruante et efficace, s'en suit une évolution plus sournoise.
Vitriol d’œillet perd son vitriol, peu à peu se boise et se poudre, tout en gardant un éclair incisif et montant.
Le dandy serait devenu mafieux, époussetant son costume marine finement rayé de la cendre ardoisée et violette qui retombe de l'explosion du casino, derrière lui. Odeur de poudre et d'air sulfuré.
L'ambiance est calme, mais mortelle.
La douceur ambiante n'est qu'apparente, ce sillage attirant, poudré cosmétique et jouant l’ambiguïté, est hypnotique et vénéneux. Puant le poison, il s'enroule autour de votre gorge et vous manipule, joue avec vos nerfs, sans jamais vous achever. Il vous garde en vie, pour savoir jusqu'où vous irez avec lui, car si vous tenez bon, vous verrez qu'il n'évolue guère, et qu'il n'est pas si cruel que ça... Juste sournois !