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[Brève] Olfactorama 2012 - Les lecteurs aussi ...

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En attendant les résultats du jury, composé de 36 amateurs de parfums, qui tomberont ce samedi ( 27 avril au soir) nous invitons les lecteurs des blogs à voter aussi pour les parfums qu'ils ont aimé en 2012 dans la sélection de l'Olfactorama 2012.

olfactorama.fr
Les votes ne compteront pas pour le résultat final, mais pour le "Prix des Lecteurs". Pour récompenser aussi, d'une autre façon, les marques représentées.

Pour voter, rien de plus simple : rendez vous ICI !

ALORS AUX URNES, vous avez jusqu'au 26 avril pour récompenser le meilleur de la parfumerie "grand public" et "confidentielle". Ne tardez pas !




Chanel N°18 - La fille de l'air ...

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En 2008, Jacques Polge et Christopher Sheldrake signent pour Chanel l'intrigant N°18, en hommage à l'adresse de la joaillerie de la marque, située place Vendôme.

Pour restituer l'éclat et la pureté du diamant, ainsi que sa rareté, les deux parfumeurs décident de partir d'une matière première bien peu utilisée en parfumerie, ou du moins peu répandue en tant qu'élément prépondérant d'un parfum, pour la placer au centre de toutes les attentions, comme un véritable joyau exposé et sublimé.
Ils choisissent ainsi la très discrète et délicate graine d'ambrette.


fleur d'ambrette - scoopweb.com

Partant de cette précieuse huile essentielle aux accents poudrés, musqués et presque minéraux, transportant les vents chauds et étouffants d'Inde et d'Australie, les parfumeur ont su la sublimer, sans la dénaturer.
La touffeur moite et tiède de la matière brute a été maîtrisée par un effet alcoolisé et acidulé pour souligner la limpidité naturelle qui subsiste pourtant dans l'ambrette, indépendamment de l'épaisseur et de la richesse des notes liées et imbriquées. Elle m'apparait comme une bulle de verre cristallin contenant un nuage blanc et épais, duveteux, cotonneux et moelleux.
Cette coque de cristal, étincelant d'un éclat poivré, semble faite d'âmes et d'esprits de fleurs égarées. Rose, peut être. Jasmin, sans doute.
Elles semblent pousser des soupirs et regarder d'un air pensif ce nuage de brume romantique qui enveloppe, par moment, leur jardin merveilleux du blanc de l'ambrette et du gris perle de l'iris.
Un vague éclair d'aldéhydes soutenu par un effet crémeux s'en mêle, de façon très discrète et lointaine, pour bien rappeler la filiation Chanel (N°5, N°22, Bois des Iles), sans pour autant tomber dans la répétition. Plutôt comme pour apporter l'élégance.

La bulle se comprime, s'allonge. Sous ce voile brumeux se dessine un forme.
Le brouillard de coton enveloppe une peau blanche immaculée et se fige à son contact. La chaire pulse et s'échauffe dans l'air glacé de l'hiver. Sous le tissu exhalant un doux parfum rêche et poudré sec, et dessinant d'innombrables fleurs imbriquées, elle se sent bien. Elle avance dans le paysage recouvert d'un épais mentaux blanc, fière et d'un pas décidé, sur un matelas de nuages à quelques centimètres du sol.



Elle pose un pied à terre, et le vent polaire s'élève en bourrasques. 
A chacun de ses pas, l'air soulève sa chevelure lâche et fait claquer les plis de sa longue robe immaculée. Dans son fourreau blanc, sa beauté pâle, naturelle, soulignée de lèvres sang et d'un regard désinvolte semble être quelque peu engoncée, mal à l'aise. Comme une fille sauvage mise en robe du soir.
Courant de plus en plus vite dans la neige, les mains, les joues et les pieds brûlants, elle s'échappe, tentant de s'émanciper, loin de tous les diktats que l'on a tenté de lui coller. Elle est libre et le restera. C'est ce qui fait sa beauté et sa richesse. Elle ne veut ressembler à aucune autre.
Dans ses cheveux libres fleurissent des fleurs imaginaires qui s'égrainent au fil de son sillage, et se brisent en retombant par terre, telles du cristal.

Peut être est-ce la déesse de l'air, la fille du vent et de l'hiver, mais ici on préfère l'appeler "La Blanche-Neige des temps modernes".On dit même qu'elle aurait un double maléfique, un côté sombre, noir, nommé Coromandel !

N°18, Chanel - photo Musque-Moi


Élégante, simple, éclatante et sophistiquéeà la fois, dans le N°18 la graine d'ambrette règne en majesté ; souveraine et fière, à la fois brute, stylisée, ouvragée et ornée.
D'une originalité folle, cette personnalité rude au premier abord laisse place, au fil des tests sur peau, à un sentiment de confort.




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Un grand merci à Sandrine pour ces magnifiques photos de mode, qui illustrent à merveille ma vision de ce parfum.
Retrouvez-la sur son blog Little.S, cette future styliste est très prometteuse !

Retrouvez le N°18, ainsi que toutes les autres fragrances Exclusives de chez Chanel, dans les boutiques de la marque, ainsi qu'aux Galeries Lafayette Haussmann depuis peu.


L'art de travailler autour d'une matière, de la suggestion et Lily & Spice, de Penhaligon's ...

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Rares sont les lys en parfumerie, et encore plus les lys réussis sentant le lys !
Pour moi, le plus fidèle à la fleur naturelle est une bougie au nom qui laisse songeur : Lys Casablanca (Parfum d'Empire).

Bien sûr, on peut se demander s'il est intéressant d'obtenir un lys proche de la fleur naturelle, que l'on connait tous en bouquet ou au jardin : un peu vert, aqueux, puissant et suave, entêtant à la limite du désagréable, à la longue.  Et c'est une question que l'on peut se poser pour n'importe quelle fleur, et plus largement, pour n'importe quelle note pouvant faire office d'un traitement dit "en solinote".

Il est toujours remarquable de sentir une recomposition de fleur "muette"*, se voir le nez directement au dessus des pétales, mais outre la virtuosité du parfumeur à reproduire une impression naturelle, outre sa maitrise de l'olfactographie, cet exercice peut vite devenir ennuyeux, une fois la reproduction faite. J'aime, moi même, pour me surprendre, reconstituer le parfum de fleurs que je connais, comme je le disais dans un précédent article ; avant tout parce que c'est une sorte de jeu, et ensuite parce que c'est toujours impressionnant de voir naitre, au fil des gouttes et des matières, une fleur dans un flacon.

Oui, ça sent comme la fleur fraîche, et après ? 

C'est fou, on retrouve absolument toutes les facettes, mais ai-je envie 
de porter un bouquet de lys brut autour du cou ? 

Il serait donc plus intéressant d'utiliser la reconstitution faite, dans un bouquet de notes, dans une composition plutôt qu'en soliflore. Mais alors, quand on décide de sortir un parfum qui laisse la part belle au lys, comment ne pas sombrer dans l'ennui ?

Les parfumeurs utilisent pour cela plusieurs techniques. 
photo source : Musque-Moi !
Certains, selon leur envie et le but recherché, vont exacerber certaines notes, les tirer à l'extrême, vont déformer la fleur originelle pour lui étirer les pétales, lui grossir les feuilles, couper sa tige ou bien lui exploser le pistil. En d'autres termes, exagérer l'une des facettes naturellement présentes dans le parfum, ce qui conduit à des OONI ( Objets Olfactifs Non Identifiés), comme Tubéreuse Criminelle par exemple.

Souvent, le parfumeur préfère reproduire sa propre vision de la fleur. Évoquer, suggérer, plutôt que soumettre, dicter. C'est la méthode chère à Jean-Claude Ellena, et qu'il nous expose dans son Journal d'un Parfumeur au moment il décide de travailler un "accord poire" qui "ne sera pas la reproduction de ce que j'ai senti, mais l'image de l'odeur mise en mémoire", nous dit-il.

C'est, selon moi, la plus intéressante des démarches, dans le sens où le parfumeur se détache de toutes règles et se livre à cœur ouvert, nous soumettant sa propre vision, ses émotions, son ressenti. Peut importe ceux qui ne sentiront pas le musc dans Musc Tonkin, ceux qui ne sentiront pas le narcisse dans l'Eau de Narcisse Bleu et l’œillet dans Vitriol d'Oeillet, puisque toute l'audace de Marc Antoine Corticchiato, Jean-Claude Ellena et Serge Lutens, pour ne prendre que quelques exemples, était de nous soumettre une sensation, une ambiance, une émotion, le temps d'une inspiration et d'une expiration. Cette technique est sans doute la plus intéressante, mais surtout la plus délicate et difficile à partager. L’adhésion peut être immédiate et sans discussion, comme inexistante. Quoiqu'il en soit, lorsque l'on saisit cette façon qu'ont certains parfumeurs à travailler leurs créations, leur style devient plus clair et compréhensible, et alors saisir toute la beauté et les subtilités des jus devient fascinant et très intéressant.

Difficile cependant, parfois, de savoir laquelle des deux techniques est utilisée par un parfumeur.
Lorsqu'elle créa pour la très "british perfume house" Penhaligon's en 2006 le magnifique Lily & Spice, Mathilde Bijaoui semble à la fois avoir exacerbé l'une des facettes de la fleur, tout en préférant donner à cette dernière une apparence spéciale, l'apparence qu'a la fleur dans son esprit. Un lys aux pétales brodés d'épices et de notes poudrées et boisées.

Le plus saisissant, dans cette fleurs si épanouie qu'elle emprunte des inflexions fruitées et compotées à la poire et la pomme, c'est l'effet tactile, à la fois poudré et sec, apporté par le patchouli et les épices. Une colonne vertébrale boisée, tel un tuteur qui soutiendrait d'énormes fleurs dégoulinantes d'un parfum suave, qui expirent leurs derniers souffles mortellement narcotiques dans un baiser presque vanillé et baumé. Mais surtout, cet effet appuie l'image d'un bouquet d'étamines chargées d'un pollen abondant et âcre, si abondant qu'il retombe en pluie fine sur la terre. Le lien est fait, la semence, porteuse de vie, rejoint la terre, mère nourricière.

Lily and Spice - photo source : Musque-Moi !

La note florale, qui prédomine tout le long de la composition, touche tout particulièrement mon affect, évoquant le doux parfum floral et miellé des fleurs de coucou et de primevères, que nous suçotions, petits, pour en récolté le doux arôme sucré.

Au premier abord, il faut bien l'avouer, si le nom ne nous donnait pas d'indices, il serait difficile de reconnaitre en Lily & Spice la fleur de lys. Si, à l'aveugle, le rendu final n'est pas ressemblant de façon évidente à la fleur naturelle, le lien, pourtant est indéniable entre les deux une fois que l'on connait l'inspiration. Tout se met en place, toutes les pièces se recollent... 

Suggérer.. Suggérer... Suggérer...

Mathilde Bijaoui s'est concentrée sur la note épicées, entre clou de girofle, cannelle et muscade, présente dans le lys au naturel, pour coller à l'idée de la marque de sortir un "Lys & Epices" ? Ou bien nous a-t-elle livré ici sa propre interprétation de la fleur de la madone ?

Lily & Spice - photo source : Musque-Moi !

Il semblerait, au final, que les deux techniques exposées plus haut soient intimement liées, et que l'une ne puisse exister sans l'autre. En effet, la "déformation olfactive" découle en partie d'une interprétation toute personnelle de la matière en question. Si Serge Lutens a voulu mettre en avant le camphre de la tubéreuse dans Tubéreuse Criminelle, en dehors du fait que c'est ce qui transformerait l'héroïne de son parfum en tueuse, c'est sans doute parce qu'il a avant tout été saisi par cette caractéristique qui l'a personnellement marqué. Inversement, difficile de partager sa propre interprétation d'une fleur sans la déformer en faisant prédominer une note ou une autre. Si on part de l'idée que chacun sent différemment selon son vécu, ses connaissances, sa culture, ses goûts, etc... forcément l'image que chacun se fera d'un élément odorant sera marquée par une facette, ou par une autre. Pour certains, le parfum du narcisse sera marqué par la note florale d'ylang ou de tubéreuse, et mettront en avant cette facette dans une reconstitution "à leur manière", tandis que d'autres se fixeront sur l'aspect plus animal, équin, qui leur semblera essentiel pour reproduire une image fidèle à celle qu'ils se font de façon mentale.


Et vous, que pensez-vous de cette façon de procéder par "suggestion" ? Vous fascine-t-elle ? Préférez-vous l'odeur fidèle au naturel plutôt qu'interprétée et stylisée ?


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* Fleur muette = fleur dont on ne tire aucune huile essentielle, aucun absolu, du fait du faible rendement souvent, ou du mauvais rendu olfactif.

De la botanique et du parfum ...

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S'il y a bien une chose que je suis pressé de retrouver, après la famille bien sûr, lorsque je quitte Paris pour la province profonde lors de mes vacances, c'est le jardin !

Botanique et parfumerie sont intimement liées, et même si je perds peu à peu mes connaissance en l'une, et que je ne cesse d'en gagner dans l'autre, je ne passe pas une journée sans me rappeler que c'est  là qu'est né mon amour des odeurs et du parfum.



A la fois retour aux sources, donc, je foule les allées de pelouse comme je me promènerais sur les chemins de mon passé. Les courbes des massifs ont bien changé, depuis plusieurs années. Le nombre de plantes et la variété des cultivars aussi d'ailleurs. La population des rosiers et des iris à probablement être multipliée par cinq, au moins, et si je pouvais, je doublerais encore le nombre, tout comme j'aimerais pouvoir en emporter un bout partout avec moi, de ce coin de repos, de replis, de méditation.
Les plantations se sont étoffées, pour former par endroit des emmêlements de plantes savamment orchestrés entre fleurs sauvages et variétés horticoles. Ça me rappelle, un peu, le mariage des matières naturelles et synthétiques en parfumerie. L'un ne fonctionne pas sans l'autre, dans mon appréhension toute personnelle des parfums. Les fragrances estampillées "Tout Naturel" et "Bio" me font bien rire et m'emmerdent, tous comme les gens qui posent systématiquement la question "oui mais, est ce que ce parfum est naturel ?". Les marques conceptuelles, modernes, ultra désincarnées et basées sur l'innovation et la force des matières synthétiques , elles, me font l'effet d'un menu MacDo : ça a l'air cool, ça fait envie à première vue sur la photo, en fait c'est fade, et en plus ça nourrit pas ; reste plus qu'à trouver un bon restau, ou bien rester sur sa faim jusqu'à ce soir !
L'absolu de Tubéreuse, c'est magnifique, dinguissime même ! Sous son départ acre, à la limite de la "remontée acide dans la gorge" et de la soupe de légumes, les facette florales et grasses collent à la peau grasse à l'irrésistible facette lactée et se mêlent à une douce odeur de foin vert. Mais s'il n'est pas porté par des salicylates, des muscs, des aldéhydes, et d'autres matières dites "à effets", cet absolu, en composition, se casse la gueule bien vite. Le diamant brute, pour qu'il resplendisse, doit être taillé, ciselé et serti. C'est ainsi que la tubéreuse de Carnal Flower (aux Editions de Parfums Frédéric Malle) est magnifiée pour être exacerbée, travaillée et poussée en avant pour resplendir de façon presque naturelle, justement.
A côté, Vamp à NY, de Honoré des Prés, fait bien pale figure, sans pour autant en critiquer ici la qualité ou la beauté. C'est déjà bien plus qualitatif que les parfums de la gamme Fleurs de Bach, dans le même registre "Bio" !

Si on veut du parfum 100% naturel, donc, il ne faut pas le porter, mais plutôt le planter !
Rien de mieux qu'un carré d'iris, un parterre de thym, un buisson de ciste ou une haie de rosiers pour admirer à l'état pur les parfums que nous offre Dame Nature. Là, ils peuvent être appréciés à leur juste valeur, et se permettre d'être dépouillés de tout artifice, puisqu'ils sont à leur place, dans un contexte précis : celui de séduire pour leur survie !


Carl von Linné

Car oui, la fleur n'est autre qu'un organe sexuel exposé à tous les vents, on doit bien l'avouer. Et c'est sans y réfléchir, et innocemment, que nous, pauvres animaux que nous sommes, y fourrons notre nez, sans même une arrière pensée. Ou tout du moins, c'est ce qu'on croit !

Carl von Linné, grand botaniste de sont temps, avait d'ailleurs été accusé de "franchir les limites de la décence" et comparé à un "auteur de romans obscènes" lorsqu'il proposa sa classification des plantes basée sur le nombre d'étamines, de pétales et de pistils. Classification qu'il avait nommée d'ailleurs "système sexuel". Pauvre homme incompris. Bon, d'accord, il l'avait peut être un peu cherché !
Et pourtant, il expliquait si justement et poétiquement ce qui nous trouble inconsciemment, j'en suis persuadé, chez toutes ces scènes orgiaques à ciel ouvert : les pétales "servent de lits nuptiaux, que le grand Créateur a fait si merveilleusement avec des draps si nobles, et avec des senteurs aux parfums si doux que le jeune marié et son épousée peuvent célébrer leurs noces avec une grande solennité." Tout est fait pour nous happer le nez au centre de ces replis charnels.
Nous nous faisons avoir, comme des animaux primaires, abeilles, colibris, chauve-souris et autres nectarivores servant d'intermédiaire de fécondation. Oui, dit comme ça c'est pas glamour ! Quoiqu'il en soit, nous sommes bel et bien manipulés par un être vivant certes, mais d'un tout autre règne : les végétaux arrivent à influencer les animaux. Cela va au delà de tout ce qui est d'habitude admis. L'homme, si fier soit-il, manipulé par une fleur ? Ridicule !

Et pourtant... 
Je n'irai pas jusqu'à dire que l'odeur d'une rose a, sur moi du moins, autant de pouvoir que celle du musc, du castoréum ou de la civette. Les odeurs animales ont, parenté oblige (quand l'animal parle à l'animal...), une influence beaucoup plus forte sur nous, humains, que celles des fleurs qui nous semblent tout de suite plus "asseptisées". Cela est sans doute due en partie à leur utilisation comme objet décoratif et au parfumage des produits quotidiens avec leurs essences, mais aussi à l'hypothèse évoquée plus haut : la différence abyssale entre le règne végétal et le règne animal, deux mondes qui sembles à l'opposé l'un de l'autre.
Amalgame d'images, association d'idées, différences physiologiques de base... Et pourtant, nous sommes irrésistiblement attirés par certains de leurs parfums, enivrants et narcotiques. Tubéreuse, chèvrefeuille, ylang, jasmin, fleur d'oranger, rose, narcisse...  toutes ont en commun une facette animale. Chaire, sueur, suint, crotin de cheval, replis de peau macéré, ce sont des odeurs "qui nous parlent", de la même façon que nous susurre de gentils mots doux la trace de civette au fond de Shalimar, tout cela de façon complètement involontaire de notre part. Certes, on pourra toujours débattre sur le sujet, parler de l'innocente odeur de la violette ou de l'odeur poudrée, cacaotée et vanillée de la fleur d'iris, mais touchés en plein cerveau reptilien, dans nos comportements les plus primaires, il nous faut bien l'avouer : le parfum d'une fleur a une emprise non négligeable sur nous, au delà de tout attachement sentimental.
Depuis des millénaires, l'homme s'obstine à les mettre en flacon et à s'en enduire généreusement. C'est pas pour rien !

"Au cœur des draps ..." - Géranium Lavender Pinwheel

A cette manie de fourrer mon nez dans chaque fleur passant à portée de narine, est venue s'ajouter celle de froisser chaque feuille passant à portée de main, pour saisir également toute leur âme parfumée, qui se cache, pour certaines, jusque dans leur sève. Après tout, si les plantes s'exposent aussi docilement, c'est bien qu'elles veulent se faire caresser ! ;-)

Et sinon au jardin en ce moment ? C'est l'explosion !
Entre deux rayons de soleil (enfin !) se distillent dans l'air le parfum poudré des iris, qui se mêle à celui suave et miellé des seringa et des acacias. Les roses sont en boutons, et promettent un beau spectacle aussi bien visuel qu'olfactif, qui débutera d'ici une semaine.
Descendez vous aussi dans vos jardins, dans les parcs, ou même chez votre petit fleuriste ou dans la jardinerie du coin. Les lantanas sont en fleurs, et leur parfum miellé n'a rien a voir avec l'odeur fruitée des feuilles froissées. Les œillets répandent leur parfum épicé et vanillé, tandis que les feuilles des cassissiers bruissent de leur odeur fruitée et soufrée en balançant leurs grappes de fruits verts. Les hémérocalles jaunes exhalent leur souffle jasminé jusque dans l'air tiède du soir.
Un geste de la main dans les touffes de menthe, de mélisse, de thym et de lavande, et c'est un tourbillon de senteurs aromatiques aux teintes vertes et cristallines qui nous montent aux sinus comme un vent frais et désaltérant.
Il y a tant à découvrir dans les allées des jardins. Prenez le temps, soyez curieux, et votre culture olfactive n'en sera qu'enrichie !


Je vous propose donc, pour les jours en les semaines qui vont suivre, quelques billets mêlant botaniques et parfum. Anecdotes, sensations, émotions, secrets et histoires seront au rendez-vous. 
Alors restez dans le coin... 




Parfum rime avec Jardin - Chapitre 1 : Les Iris ...

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Chez les grecs, Iris était la messagère des dieux et principalement de Héra. Elle traçait de l'Olympe à la Terre des lignes colorées lorsqu'elle portait ses missives ; phénomène qui prendra plus tard le nom d'arc-en-ciel. Outre sa fonction de postière avant l'heure, Iris était également chargée de s'occuper des appartement de sa maîtresse (Héra, donc!) et de purifier cette dernière lorsqu'elle revenait des enfers en l'aspergeant de parfums. Un nom étroitement lié au domaine des odeurs, finalement, et ce depuis la nuit des temps !

Ainsi, c'est tout naturellement qu'au XIIIème siècle on a associé le nom de cette divinité multicolore à une fleur qui l'est tout autant. En effet, le rouge est peut être la seule couleur qui n'est pas représentée dans le spectre chromatique de l'iris. C'est d'ailleurs un des défis des hybrideurs aujourd'hui, bien que cela semble impossible biologiquement parlant - au même titre que l'inaccessible rose bleue !


L'iris a toujours été considéré comme une fleur noble. D'abord parce que son port altier, haut, aux fleurs à la fois lâches et érigées, en fer de lance pour les variétés botanique, inspire une élégance simple émanant d'une fleur pourtant compliquée. Ensuite parce qu'il devint, au XIIème siècle, l'emblème de la royauté française : la fleur d'iris devient "la fleur de Louis" avant de finir "Fleur de Lys" et d'orner armoiries et blasons.
Admirez un iris en fleur, et vous comprendrez pourquoi les hommes se sont autant penchés sur lui. Les courbes arrondies des sépales retombants esquissent un geste qui pourrait se terminer en arabesque, mais le trio de pétales qui s'érige au milieu fait prendre de la hauteur à la fleur.
Élégance vous dis-je !

Et les longues années d'obtentions, dans les iriseraies à travers le monde, ont donné naissance a des fleurs aussi somptueuses les unes que les autres, parfois aux couleurs étonnantes allant jusqu'au noir, parfois au formes originales.
Mouchetées, tigrées, éclaboussées, infusées, froissées, ondulées, galbées, pliées, doubles, à éperon, à cuillère... la diversité des formes et des coloris ne fait qu'accroitre la beauté de la fleur.

Iris "Dreaming Clown" - Photo source : Musque-Moi !
Et côté odeur ?

Vous connaissez tous, je pense, le paragraphe sur l'iris en parfumerie. Le rhizome arraché, séché pendant 3 ans, extrait aux solvants pour en obtenir une concrète qui sera ensuite elle-même lavée pour obtenir l'absolue. L'odeur racinaire et étouffante de ce dernier, poudrée à l'extrême, aux notes de carotte et de poire fraîche, sur un fond de relents terreux... Son prix affolant... Iris Silver Mist, Bois d'Iris, Iris Gris... bref, tous çela qui est bien magnifique mais qui ne sera pas abordé dans la suite de cet article !

Et non ! Ici on parle de la fleur uniquement, souvent à tort sous estimée, délaissée.

J'entends souvent des gens du milieu de la parfumerie (parfumeurs ou non) dire "Les iris ? Non, ça ne sent rien, on utilise juste la racine en parfumerie".

 FAUX !!!

Les iris sentent merveilleusement bon, simplement c'est une fleur muette, comme le lilas ou le muguet : on en extrait aucune matière première car le rendement est bien trop faible, ou car le rendu est insatisfaisant et très différent de la fleur fraîche.
Cet apriori sur l'absence de parfum dans la fleur d'iris est, malheureusement, souvent du à un manque de connaissance résultant, peut être, d'une curiosité ou d'une motivation faisant défaut. Deux qualités qui pourrait paraitre pourtant essentielles dans ce domaine. Mais ceci est une autre histoire, bien dramatique je peux vous le dire, puisque je la côtoie assez souvent !

Vous savez donc, maintenant, que les iris ont un parfum ! Enfin... "un", c'est bien trop réducteur. Comme pour les roses, chaque variété a sa particularité, des nuances spéciales, des variations parfois infimes, ou alors vraiment marquées.

Le parfum des iris semble s'articuler autour de trois grand axes :
- Les floraux (fleur d'oranger et notes jasminées)
- Les citrus (zesté)
- Les balsamiques (vanille, cacao, miel et chocolat blanc)

Puis, comme pour les familles en parfumeries, toutes ces catégories se recoupent et se mêlent.
Ainsi, l'iris pallida, utilisé pour ses rhizomes en parfumerie, dévoile une riche odeur poudrée et musquée, aux inflexions vanillées et de fleur d'oranger, notamment grâce à l'anthranilate de méthyle (note qui, seule, a une odeur médicamenteuse et étouffante, entre la naphtaline et l'odeur de certains plastiques parfumés des années 90) que l'on retrouve naturellement dans la fleur d'oranger ou la tubéreuse.
La variété "Old Black Magic", à la fleur d'un violet si profond qu'il nous apparait noir, exhale de sa gorge sombre des notes de chocolat blanc, un peu gras et poudré. Cette particularité semble être propre aux variétés sombres, violettes ou bleues. "High Master", quant à lui, avec ses couleurs qui me font penser à une explosion crépitante, possède un parfum plutôt tourné vers les agrumes et plus particulièrement le zeste d'orange.
détail de l'iris "Solar Fire" - Photo source : Musque-Moi !
"Solar Fire", au coloris chaleureux mêlant le terre de Sienne à l'orange, émet un parfum plutôt floral solaire, aux notes salicylées un peu vertes et "plastique". D'autres sont plus indolés, au senteurs plus profondes et proches des fleurs blanches de type jasmin.
Maintenant, à vous de mener vos petites investigations, et à vous amuser à comparer les différents parfums des iris !

Comme évoqué plus haut, la fleur de l'iris est souvent bien trop oubliée en parfumerie. Même si Iris Ukiyoé(que j'adore !) d'Hermès et Iris Nobile d'Acqua di Parma en font l'éloge, rares sont les parfums qui retranscrivent cette envoûtante et prenante odeur poudrée qui emplit l'air chaud des après-midi de juin !

J'ai choisi, pour vous imager cette sensation de douceur réconfortante et ensorcelante, le parfum centenaire de Guerlain : l'Heure Bleue.


Sa texture incomparable, poudrée et dense, presque insondable tellement les grains de cette poudre semblent serrés et imbriqués, pourrait très justement évoquer un air chaud de fin de printemps, passant dans un champ d'iris et portant leur parfum. D'ailleurs, dans l'Heure Bleue, flotte entre les relents d'encaustique et les traces amandées, une note de fleur d'oranger s’immisce, évoquée justement par l'anthranilate de méthyle, abordé plus haut, matière propre à certains iris.
Un souffle chaud d'une fin de journée, le jour qui décline, un champ d'iris bleu et blanc... tout y est !


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Retrouvez toutes la série "Parfum rime avec Jardin" :

- Introduction : "De la Botanique et du Jardin"
- Chapitre 1 : Les Iris




Parfum rime avec Jardin - Chapitre 2 : L'acacia ...

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Le beau temps et la chaleur ont mis du temps à arriver. Toute la végétation en a pris un coup. Les acacias ont pris leur temps pour fleurir, mais comme tous les ans, ça valait le coup d'attendre !

Fleurs de robinier faux-acacia - source : abelblue.canalblog.com

L'acacia, comme on l'appelle chez nous, est en fait un robinier (Robinia pseudoacacia), un arbre de la famille des Fabacées (appelées aussi "légumineuses") regroupant également des plantes bien connues et utiles, comme le petit pois, le haricot, la fève, la glycine ou encore le genêt. Rien à voir, donc, à première vue, avec les acacias que l'on connait habituellement et que l'on surnomme couramment "mimosas" dans le sud. Le seul point commun entre les deux plantes : des feuilles pluri-lobées et des fleurs (de formes bien différentes pourtant !) au parfum puissant. Ce mélange des noms est un casse tête pour le novice, mais pour les adeptes en botanique, c'est particulièrement courant. D'où l'utilité des noms en latin, ne laissant aucun doute quant à l'identification des végétaux.
Voilà pour ce qui est de la partie botanique !

Pour la partie historique, le Robinia tire son nom de son découvreur, Jean Robin, jardinier et botaniste de Henri IV, qui l'acclimate en Europe en plantant le tout premier spécimen à Paris, place Dauphine, en 1600. Cet arbre a depuis longtemps disparu, mais il se trouve qu'il aurait donné deux rejets toujours visibles aujourd'hui dans la capitale, et qui ont été transplantés dans le square René-Viviani en 1601 pour l'un, et au Jardin des Plantes en 1936 pour l'autre. Ils seraient les plus vieux arbres de Paris !

Robinier du square René-Viviani - source : wikipédia

En ce moment, sa floraison se termine gentiment... il y a quelques jours, à la campagne, c'était un plasir de rouler les fenêtres grandes ouvertes !
Cet arbre est si répandu en France, même à l'intérieur des grandes villes, qu'il est peu probable que vous ne soyez jamais passé sous l'ombre légère et frissonnante d'un acacia en fleur, dégoulinant de grappes de fleurs blanches, lourdes d'un parfum suave et capiteux qui se déverse par flots dans l'air tiède de la fin de printemps. Une petite brise qui vient cueillir les notes de miel, de fleur d'oranger et de poudre crémeuse, en les portant jusqu'à votre nez, et c'est un délice.
Un délice, oui, car ce parfum à quelque chose de purement gustatif...
Est-ce la fleur d'oranger qui rappelle les pâtisseries orientales ou les brioches maison ? La note de miel qui excite les papilles ? Ou bien serait-ce le fait que l'on se rappelle les délicieux beignets que l'on confectionne avec ses fleurs, justement ?

Quoiqu'il en soit, ce parfum a une emprise indéniable sur le genre humain. Comment ne pas tomber dingue sous les nuages enivrants du robinier ?
Dans une lumière dorée rasante qui se déverse dans les champs bordés d'acacias en fleurs, c'est une courses poursuite dans les herbes hautes parsemées de salsifis, de boutons d'or et de marguerites, en contours flous et plans larges. Rassurante et confortable, cette odeur a des accents d'enfance à la fleur d'oranger, cache des sourires, des éclats de rire sous ses feuilles et des abeilles qui bourdonnent de plaisir dans ses pétales blancs. Pétales blancs tombant en pluie dans le vent de juin. Son poudré farineux incomparable, un peu gras, n'est pas sans rappeler le sort qui les attend lorsque les petites mains auront fini d'attraper, entre les terribles aiguilles noires acérées, les grappes de papillons gorgées de nectar sucré...

"une lumière dorée rasante qui se déverse dans les champs bordés d'acacias en fleurs..."

Bien rares sont les interprétations du robinier faux-acacia en parfumerie. Peut-être est-ce du à la trop proche ressemblance avec la fleur d'oranger ? Ou alors parce que ça ne mène à rien de le styliser, ou de travailler autour de cette note, comme le font d'habitude les parfumeurs. Pourtant, il me semble même que, exception faite d'un ou deux parfums je crois (dontEden, de Cacharel), aucune création dit l'utiliser ou revendique une inspiration venant du robinier, qui pourtant semble faire partie des souvenirs de beaucoup de gens : à chaque fois que je parle de cet arbre et de son incroyable parfum, mes interlocuteurs acquiescent en parlant, eux aussi avec plaisir, de ce parfum qui les enchante chaque printemps.
Alors un jour, si j'ai le temps, après la Jacinthe et le Lilas, il faudra que je m'essaie à l'accord "Acacia" ! ;-)


Comme pour le billet précédent, je vais maintenant vous parler d'un parfum qui pourrait illustrer, de près ou de loin, le parfum du robinier.

Pour les iris et leur parfum poudré et anthranilé, c'était l'Heure Bleue de Guerlain. Pour l'acacia, c'est Séville à l'Aube, de l'Artisan Parfumeur. 
Il y a quelques jours, ce lien "fleur d'oranger-miel-nectar-coumarine" m'est apparu comme une évidence. Plus que toute autre fleur d'oranger du marché, celle-ci évoque bien le gras généreux et enivrant du robinier en fleurs. Pas que, évidemment (et heureusement !). Pas forcément de façon évidente non plus, ou bien même revendiquée, mais pour moi, elle arrive à en saisir les effets, les textures, et en rendre une image implicite.

Séville à l'Aube - L'Artisan Parfumeur


Et vous, quels parfums vous évoque ce doux souvenir sucré des acacias en fleurs ?



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Retrouvez toutes la série "Parfum rime avec Jardin" :

- Introduction : "De la Botanique et du Jardin"
- Chapitre 1 : Les Iris
- Chapitre 2 : l'Acacia



Florabotanica - Balenciaga Paris ...

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Je suis perdue dans cette forêt.
Une forêt qui n'a pas d'âge, je crois.
Entre les branches noires entrelacées, sur lesquelles ne poussent plus aucunes feuilles, les rayons du soleil perforent l'atmosphère lourde et humide pour caresser le sol noir d'humus.
Il est loin le soleil. On dit ici qu'il se cache tout là haut, au sommet des branches de ces grands chênes millénaires. Il parait même que ce sont eux qui le portent et le baladent à la faveur du vent. Les vagues des cimes le font voguer comme un ballon sur l'eau. Et tout comme dans l'eau, ses rayons qui se perdent vers les profondeurs se tordent et se balancent entre les branches en un ballet silencieux et ondulant, saturant l'atmosphère d'une aura magique, féérique même, si on oublie les mousses qui pendent ici et là, sur les troncs et les rochers, et les ronces qui forment des arcs brisés dignes des plus belles cathédrales romanes.

Je suis perdue dans cette forêt.
Je ne peux pas bouger. Et c'est immobile ici, dans cette clairière pas plus grande qu'une chambre d'enfant que je vivote, me nourrissant de ce que j'ai à disposition. Oh non... cette lumière et cet environnement ne me conviennent pas. Je n'ai pas choisi d'être là. Mon teint est devenu blafard et mon moral n'est pas toujours au beau fixe. Enfin... "pas toujours"... plutôt "rarement" ! J'en deviens parfois agressive. Exécrable même !
Mais je me fais une raison, je ne suis pas là pour rien, on m'a chargé d'une mission : perpétuer ce qui fut l'une des plus belles merveilles botanique et perfumistique. Je suis la dernière représentante de ma famille - comme je l'ai toujours été d'ailleurs - et je dois me cacher, ici, dans cette forêt, pour qu'un jour, peut être, je puisse à nouveau ressortir et être admirée de tous, comme au bon vieux temps.

Mais pour l'instant, je suis perdue dans cette forêt.
Chaque matin, lorsque le jour arrive enfin, c'est un peu de répit qui s'offre à moi. Je n'ai pas peur du noir, non, j'ai peur de cette forêt. Elle m'abrite, et pourtant elle me parasite, elle m'étouffe et m'empêche de rayonner. Mon aura est littéralement aspirée. Et j'ai encore plus peur d'elle quand vient la nuit, inquiétante et lugubre, avec ses cris à vous déchirer les tympans, qui hurlent dans votre crâne à vous rendre hystérique. Quand à l'aube les premiers rayons font frissonner les feuilles pleines de rosée et illuminent les mousses gorgées d'eau, tout se calme et un silence de plomb s'abat sur ce pays de bois et de terre. Ça n'est pas plus rassurant que l'atmosphère nocturne, mais au moins, il fait plus chaud. Les fruits mûrs au bout des branches se gorgent de pulpe fraîche ; on se demande d'ailleurs comment ils arrivent à naître au bout de ces brindilles qui n'ont jamais porté de fleurs et qui parsèment l'orée de la clairière. Et ce n'est pas la seule chose magique qui se passe ici : lorsque les rayons, donc, caressent le sol noir riche en matière organique, des bouquets de champignons se mettent à apparaître. Leur teinte ocre passé pourrait bien paraitre quelconque, mais c'est sans compter sur leurs chapeaux iridescents qui tapissent le sol de milliers de petit miroirs, à la façon d'une pluie de paillettes jetées à travers les bois. Et lorsque le vent effleure les bords aiguisés de ces ombrelles en se chargeant de leur odeur organique, elles vibrent en un champ bourdonnant ponctué de notes sur-aiguës.


Je suis perdue dans cette forêt.
Et depuis le temps que j'y suis perdue, je sais comment va se passer cette journée...
Une fois que le jour sera bien installé, que la rosée sur les fruits et l'eau dans la mousse aura séché, la température va monter. Le vent venant du sud va transporter l'odeur sèche d'un sable exotique et le mêler au relents humides des sous-bois. Je vais alors prendre des forces, m'enivrer de toutes ces promesses que plus loin, il y a autre chose. La liberté peut être ! Et si cette odeur était celle du crin chargé de poussière d'un preux chevalier de retour de croisades, qui passerait par là et, peut être, m’emmènerait avec lui ? Il faut que j'arrête de rêver les pétales grands ouverts. Je ne suis pas plus une princesse de contes de fées, qu'une belle femme qui pourrait séduire un chevalier. Si jamais il passe par là, il ne me calculera même pas. Quoique j'ai des atouts... Alors c'est sans retenue, aucune, pour tenter d’appâter le badaud qui passerait par ici et lui signifier ma présence, que je me mets à exhaler. J'enfle mon bouton, écarte mes sépales d'un vert émeraude, et déploie fièrement mon bouquet de pétales d'un rouge velouté... La température maintenant agréable, et la lumière, mettent en marche la mécanique bien huilée de mon stratagème d'envoûtement. Dans un effort ultime, ma corolle se met à crépiter d'un parfum capiteux qui emplit toute la clairière. Puis, au crépuscule, lorsque les cimes sembleront s'embraser, Sieur Renard viendra rôder autour de moi. Le charme agirait-il aussi sur lui ? Alors il enroulerait son corps de fourrure autour des mes branches et, se frotterait

Je suis perdue dans cette forêt.
Comme je peux je vivote dans cette clairière, en lançant, chaque jour, des S.O.S olfactifs. Reine de cet espace sans vie, elle est devenue MA clairière. C'est mon antre. Je la domine par mon parfum. Quiconque y entre, entre en moi.
Dans le passé, mon parfum valait de l'or. J'étais la "rose au parfum de diamant", une sorte de "poule aux oeufs d'or" des parfumeurs d'une ville que l'on nommait Grasse. Mon parfum dix fois plus puissant, fin et exquis que celui de ma cousine la rose de mai, se monnayait bien plus cher que le musc et l'ambre gris, et parfumait la cour du Doux Fleurant, le roi de France Louis XIV. Des guerres éclataient pour quelques onces de mon essence. Je faisais chavirer les cœurs des dames de la noblesse, et je ruinais leurs maris aussi bien que leurs amants.
C'est d'ailleurs mon caractère qui me mena jusque ici. En effet, bornée, fière et orgueilleuse, je voulais être "L'Unique", si bien qu'il était impossible de me multiplier, que ce soit par bouturage ou semis. Tous les botanistes et jardiniers qui se sont penchés sur moi ont du jeter l'éponge. Ivres de mon parfum, ils perdaient la raison à force de passer des journées à me tourner autour. Alors on me choyait, pour que je ne disparaisse pas et que je fournisse le maximum d'essence à mon maître, un marchand grassois qui fit vite fortune. J'étais sa raison de vivre, et lorsque la Révolution tenta de lui trancher la tête en 1789, sous prétexte qu'il était l'un des fournisseur officiel de Louis XVI, il tenta de s'enfuir, sa bourse dans une main, et moi sous le bras. Il m'a alors planté là, c'est le cas de le dire, dans cette forêt impénétrable, pour venir me recherche, un jour, quand les choses se seront calmées. Et depuis... j'attends !

J'appelle, inlassablement, par des mots que peu de gens comprennent. Un cri muet ? Plutôt une complainte odorante. C'est pareil ? Oui et alors ?
Tiens, la nuit revient. Encore et encore. Déjà la lumière baisse, la température aussi. Mon cri parfumé va lui aussi s'éteindre, peu à peu, ses dernières bribes portées par l'air frais et argenté de la lune. Même s'il n'a plus la force d'antan, qu'il est bien plus acide, aigre et strident qu'auparavant, je ne désespère pas qu'un jour, lorsque je reverrai le soleil autrement que filtré par les branches entrelacées des vieux chênes moussus, il retrouvera sa puissance pure et entêtante, et je redeviendrai Reine. Mais alors ces odeurs de fruits insoupçonnés, de feuilles gorgée de rosée, d'humus, de terre humide, de bois mouillé, de vent sec, de fourrure de Sieur Renard... et bien elles me manqueront !
Moi, Rosa flora botanica - comme m'appelaient ces fous de botanistes latinistes - pourtant de retour à l'air libre, je regretterai cette atmosphère oppressante heureusement teintée d'un peu de magie, je pleurerai ce que j'avais tant aimé détester.
Éternelle insatisfaite, mon air de tueuse et ma moue boudeuse iront, une fois de plus, parfaitement bien avec mes pétales revêches et mes épines de "tu m'touches, j'te bouffe".


Florabotanica - Balenciaga Paris


Florabotanica ; Jean-Christophe Herault et Olivier Polge pour Balenciaga Paris.

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Ce coup de cœur tout récent, aura été une coup de cœur à retardement. Mais, peu à peu, cette sauvageonne qui me crachait au début à la figure, se laisse, peu à peu, dompter.





[Nouveauté] Repetto, Le Parfum - Rototo de sucre glace...

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Dieu Iris Silver Mist, mais qu'a-t-on fait à Saint Mitsouko pour avoir des sorties aussi pourries cette année  ?!?!

Oui, oui, je suis un peu énervé.
Pourquoi ? Parce que je viens de sentir LA nouveauté du moment, la nouveauté des nouveautés, THE nouvelle maison qui se lance dans le parfum : Repetto !

Repetto, Le Parfum - source : elle.fr

Bon... ok, j'en attendais pas vraiment quelque chose de bien. 
Ou devrais-je dire : "je ne m'attendais à rien de bien extraordinaire". C'est différent !
Le parfum aurait pu être banal, certes, mais joli, mignonnet. De la rose fraiche et quelques fleurs blanches pour la naïveté et la légèreté des danseuses, une pelleté de muscs blancs scintillants mais pas moches pour le froissement du satin et les envolées de tulle. On aurait même pu avoir une ouverture juteuse de poire un peu croquante et verte, c'est tendance en ce moment la poire. Ah pardon... on me dit dans l'oreillet qu'il y a bien de la poire dans la pyramide olfactive !!!
Bon alors ou même un fruit rouge bien fait ; on peut toujours rêver.


Que tchi !


"Cette fragrance est telle une rose satin dont le sillage virevolte pour vous enrober comme un ruban satin infini. Une fragrance gracieuse et charnelle."

Pour la grâce, on repassera ; ou alors on n'en a pas la même définition ! A force de nous promettre depuis 6 mois l'arrivée de ce parfum, de nous en resservir à toutes les sauces, de nous réserver des linéaires entiers chez Marionnaud avec des teasers annonçant "Bientôt... le premier parfum de chez Repetto", eh ben la danseuse, entre temps, elle a pris 10 kilos !
Au moins, pour la côté "charnel", il ne nous avaient pas menti !
Elle s'est empiffrée de tuiles aux amandes et de boudoirs trempés dans du sirop de framboise surglucosé, et comme si ça ne suffisait pas, ce n'est pas une ou deux parts de tarte à la fraise, mais bien la tarte entière qu'elle s'est descendue, la gourmande. A côté d'elle, il reste encore un tas de macarons, mais elle n'en peut plus, il faut qu'elle fasse son rototo...
C'est pas La Vie est Belle, mais c'est particulièrement collant quand même ! Enfin, les deux premières heures, parce qu'après ça s'effondre assez vite.

Les petits rats qui joueront le Lac des Cygnes risquent bien de s'engluer les ailes, s'ils s'approchent trop près de cette énième sortie se pliant aux diktats, au point de sembler danser des palmes aux pieds !



[Nouveauté] Comme des Garçons - Blue Invasion

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La marque japonaise Comme des Garçons vient de lancer une toute nouvelle série de trois fragrances dans sa ligne "export", ligne la plus facile à trouver dans les parfumeries non spécialisées, en reprenant donc ses célèbres "flacons-gourde" (ou "galet", c'est selon...) cette fois parés d'un dégradé métallisé et futuriste de bleu, la couleur centrale de cette nouvelle "Invasion".

Blue Invasion by Comme des Garçons

Blue Encens, Blue Santal et Blue Cedrat sont les trois déclinaisons chromatiques en contrastes que nous offre cette Série Bleue, sensée jouer sur des paradoxes d'odeurs, marier des notes glacées et fraîches à des ingrédient qui ne le sont pas forcément !
Bon, je dois l'avouer, l'idée est intéressante, mais je ne la trouve pas forcément aboutie et franchement flagrante dans les trois parfums qui vont suivre.Cependant, les trois jus sont soignés et plutôt agréables...

http://www.joshua-s.com/wp-content/uploads/2013/06/Comme-des-Garcons-Blue-Series-Blue-Encens-920.png
Blue Encens

Mon coup de cœur sur les trois, sans grande surprise. Faisant écho à la célèbre "Série 3" des encens de la marque, cet encens "bleu" n'est pas sans rappeler Incense Kyoto ou Ouarzazate peut être, je ne me souviens plus très bien, et le fond d'Incense Avignon.
Un encens poivré, donc, travaillé à la façon moderne et très typée Comme des Garçons, aux tonalités florales douces, et aux notes légèrement aromatiques de l'armoise. Au porté, on ressent presque une légère sensation d'épaisseur et de touffeur animale fugace sur le début, accentuée par la cannelle, et en fond un très léger effet fumé qui se fond sur peau.

Parfait pour l'été avec ses inflexions fraîches, ce Blue Encens n'a rien de très novateur mais permet de proposer des choses bien plus conceptuelles et différentes dans une parfumerie tout à fait accessible, loin des blockbusters archi-calibrés et sans âme.


Blue Santal

Probablement le plus déroutant des trois !
Au premier abord, il m'a fait penser à Womanity de Thierry Mugler, avec des effets lactés et salés en commun sans pour autant partir sur le même effet fruité et collant. Comme si un bois de santal avait flotté durant des mois, voire des années, dans l'océan pacifique, se gorgeant d'eau de mer et de soleil.
Puis c'est Déclaration d'un Soir, de Cartier, qui m'est venu à l'esprit, grâce à ce cocktail d'épices sèches, presque poussiéreuses, de la cardamome et une note rosée, ainsi qu'une bonne dose de cashméran qui appuie cette sensation d'aridité et de bois blanchi par le soleil.

A mi chemin entre les deux, vous allez me dire que l'on est face à un ovni. Pourtant le tout fonctionne bien. Ce santal conceptuel, décortiqué et réinterprété (on y sent pas à proprement parlé le santal mais on y retrouve ses différentes facettes) est plutôt original et signé, jamais vu encore dans le reste de la gamme et plutôt agréable.
Peut être d''ailleurs le plus féminin de cette série !

Blue Cedrat 

Vert, boisé et citronné... Les feuilles charnues d'un citronnier, le bois crevassé et râpeux d'un cyprès et un zeste d'agrume jaune et juteux gratté du bout de l'ongle...
Un soupçon de vétiver pour rappeler la terre aride et l'odeur de peau suante, et nous voilà sur les bords de la méditerranée à marcher dans la garrigue entre les pierres brûlantes, jusqu'aux orangeraies en terrasses de l'Italie bruissante, juste grâce aux effets pétillants d'un agrume qui s'attarde sur la peau. Ce n'est pas l'odeur de ces paysages que reproduit Blue Cedrat, mais ce sont les lieux et les ambiances qui me viennent à l'esprit en le portant.
C'est le parfum du voyage, des jours de farniente à se promener entre mer et nature. Dans les calanques, sur les plages grecques ou dans les rues de Rome.
Simple, facile à porter, plaisant... un bon compromis pour l'été !


Au final, cette gamme ne se montre pas aussi innovante qu'elle le laissait entendre, à jouer sur le paradoxe chaud/froid. Dommage ! Mais les trois jus ne déçoivent pas par leur qualité et leur signature, totalement cohérentes avec l'identité olfactive du reste des parfums Comme des Garçons.
Et comme je le disais plus haut, cette série "Blue Invasion" permet de proposer un univers bien à part et des jus typés mais pas importables aux personnes qui recherchent un peu plus d'exclusivité sans aborder des territoires extrêmes et des prix exorbitants.
Une initiation à la niche, donc. Ou tout simplement aux parfums s'inscrivant dans un univers marqué et découlant d'une recherche sincère.

Une fois de plus, Comme des Garçons ne déçoit pas !


Parfum rime avec Jardin - Chapitre 3 : Le lys ...

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Pour ce troisième épisode de la série de l'été, nous allons nous intéresser à l'une des fleurs les plus populaires, sans doute, avec la rose.

Qui n'a jamais été saisi par le parfum enivrant du lys ? Qu'il soit blanc immaculé, rose léger, ou légèrement doré, il captive par son odeur, jusqu'à rendre malade !

Lys moucheté - photo : Musque-Moi

Originaire de tout l'hémisphère nord, le lys (ou "lis" comme on devrait plutôt l'orthographier !) comme on le connait dans les bouquets de nos fleuristes a été ramené d'Orient.
Cette plante bulbeuse, qui fleurit en été, est reconnaissable entre mille avec ses 6 tépales qui, lorsqu'ils s'ouvrent, laissent se dresser fièrement un bouquet d'étamines au pollen abondant qui tâche doigts et vêtements, et un pistil tendu qui semble tirer la fleur vers les cieux.
Les couleurs varient énormément : unis, tachetés, à liseré... Le grand lys blanc, Lilium candium, reste cependant celui qui fait le plus d'effet. Immaculé, pur, majestueux, il est le symbole de la pureté et est associé à la Vierge Marie. Le lys royal, Lilium regale, n'a rien à lui envier non plus ; sa couleur est simplement moins pure, légèrement dorée et rosée.

Dans la mythologie grecque, on raconte qu'en se nourrissant du lait de sa mère Junon, Héraclès aurrait laissé s'échapper deux gouttes du divin laitage. D'une goutte se répendant dans le ciel serait née la voie lactée, tandis que l'autre, tombant à terre, aurait fait naitre un lys.

© Musée Fabre
Un bouquet de lys majestueux, posé dans un salon, distillant ses vapeurs presque toxiques, est un petit pêché qu'il est si bon de s'autoriser parfois. Sentir les volutes vertes et bleues scintillantes saturer l'air ambiant, remonter dans nos narines et prendre possession de notre cerveau est un plaisir masochiste.
Pour moi, le lys est la fleur de la mort. Il orne abondamment églises et chambres funéraires aussi bien que banquets de mariage et tables de baptême, pourtant. Mais justement, ce souffle tueur qui s'en échappe, tentateur, hypnotique et agressif, sait si bien se marier aux odeurs d'éther et de chaire lavée des morts qu'il en devient, à l'état pure, la représentation olfactive des âmes se détachant lentement des corps, gardant un je-ne-sais-quoi de charnel en elles.
Si je m'endors sous ces pétales de soie blanche épaisse et rembourrée, dessinant des courbes provocantes, me réveillerai-je ? Ou est-ce que ce parfum finira par pomper mon âme et rendre ma peau aussi pâle que les fleurs qui l'exhalent ?

Le lys est une "fleur blanche" comme on dit en parfumerie. Et comme toutes les fleurs blanches, c'est une "vamp du règne floral", comme les appelle Denyse Beaulieu dans son livre Parfums, une histoire intime.
Surdimensionné, puissant, enivrant, floral et épicéà la fois, légèrement vert et solaire par moment, la parfum du lys, si je devais le classer dans une "bibliothèque des fleurs", se situerait entre le jasmin (indoles) et le chèvrefeuille (salicylates et notes vertes), non loin de l’œillet (eugénol).

Indole + eugénol + salicylates... voilà une formule bien barbare pour esquisser les traits d'un parfum puissant qui ne se laisse pas capturer. Le lys, sous son charme rétro, peut aussi bien s'aborder par l'une ou l'autre de ses facettes, afin d'être stylisé.
Pour ceux qui aiment sa facette florale généreuse et opulente, Un Lys, de Serge Lutens, vous ravira avec ses notes de lilas et de muguet. Très virginal.
Lily & Spice et Baiser Volé, quant à eux, explorent plutôt la chaleur des épices, du clou de girofle notamment, avec en plus un effet poudré et cosmétique pour le dernier féminin de Cartier.
Lys Méditerranée (Frédéric Malle) joue sur les notes vertes, fraîches et solaires de la fleur de la madone, et justifie la filiation avec le chèvrefeuille, un peu vert et amer.
Vanille Galante (Hermès) et Lys Soleia (Guerlain) vont encore plus loin dans l'effet salicylé et solaire du lys, en le rendant franchement gras, presque laiteux et chocolat blanc. Des lys qui fondent sur peau, révélant tout le caractère tentateur, charnel et envoûtant de la fleur pourtant si pure !

Si l'on regarde bien, il existe bien moins de lys en parfumerie que de jasmins, de fleurs d'oranger, ou de tubéreuses. Encore plus rares sont ceux qui reproduisent fidèlement le parfum naturel de la fleur. Après tout, à quoi bon ? Serait-ce agréable à porter à l'état brut ? Peut-être pas, mais en parfum d'ambiance, c'est intéressant...


A l'instar de la magnifique bougie Lys Casablanca, composant avec Ambre Absolu, Tubéreuse Corse et Lantana Camara, la série de 4 parfums pour la maison de la marque Parfum d'Empire.
Tout comme Un Gardénia la Nuit chez Les Éditions de Parfums Frédéric Malle est le plus beau, le plus réaliste et naturaliste des gardénias, cette bougie est une ode majestueuse au lys suave en plein épanouissement. 
A sentir de toute urgence !


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J'espère vous parler tout bientôt d'un nouveau parfum, issu de la collaboration d'une amatrice avertie et d'une jeune parfumeur de talent. Deux femmes pour un lys sulfureux nommé Lys Epona.
J'y reviendrai !
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Retrouvez toute la série "Parfum rime avec Jardin" :

- Introduction : "De la Botanique et du Jardin"
- Chapitre 1 : Les Iris
- Chapitre 2 : l'Acacia
- Chapitre 3 : Le Lys

[Coup de Coeur] Azemour, Parfum d'Empire - Orange charnelle ...

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J'ai une affection toute particulière pour Parfum d'Empire, de Marc Antoine Corticchiato. Ses créations, qui respirent la sincérité, sont réfléchies et composent une gamme cohérente et attachante.

Avant de nous offrir, l'année dernière, son interprétation toute personnelle du légendaire Musc Tonkin dans une édition limitée en concentration 'extrait', Marc Antoine Corticchiato nous racontait, un an auparavant, ses souvenirs d'enfance au Maroc, dans les orangeraies de ses parents.


Hercule au Jardin des Hespérides, Georges Desvallière

"Azemour... les orangers".
Tel est l'intitulé complet de ce conte olfactif.
Comme une phrase que l'on vous susurre à l'oreille, dans un souffle chaud qui respire l'exotisme méditerranéen, un vent tiède et sec vous caressant la peau.

Le départ vif et vert, d'un feuillage d'oranger bruissant, éclaboussé de lumière et de rosée, vivifie par ses notes explosives d'agrumes et résines vertes. Orange, mandarine, néroli, galbanum... auxquelles viennent se mêler des notes plus aromatiques de coriandre, entre autres, et de pin légèrement terpénique, piqués de poivre et d'épices. Comme pour tracer un connexion entre les orangeraies marocaines et le maquis corse entre lesquelles le parfumeur voyageait.

Irrésistiblement lumineuse, radieuse, cette bigarade se gorge de chaleur et de soleil. Le fruit se gonfle de sucs, de jus fruité, à peine sucré, tout en gardant les notes boisées et moussues qui l'habillent et donnent à la fragrance la structure strict, verticale et un peu sévère du chypre.
Mais déjà commence à pointer l'épice de tous les délices... Le cumin, déroutant et enivrant, animal et presque humain, dosé savamment ici, accompagné de foin, de cuir (IBQ) et de vétiver, fait fusionner, dans une chaleur grisante, le zeste sur la peau. Seraient-ce les Nymphes qui roulent sur leur peau les pommes d'or dans ce jardin des Hespérides ? Un duo du tonnerre qui n'est pas sans rappeler la Bigarade Concentréedes Éditions de Parfums Frédéric Malle, ou encoreDéclaration de Cartier, mais nous y reviendrons prochainement...
La fleur d'oranger, miellée, suave et langoureuse, arrondit l'ensemble ; l'électrise aussi, avec ses notes animales indolées, et le féminise, si j'ose dire. Car même s'il est tout à fait mixte et rattaché à une famille que l'on associe plutôt au genre féminin (le chypre), il emprunte cependant, avec son aspect hespéridé aromatique boisé largement dosé en hédione (qui lui confère ainsi sa luminosité et sa fraicheur diffusive presque florale), quelques traits inévitablement connotés masculins aux eaux fraîches initiées par Roudnitska chez Dior, avec son parfum éponyme (Eau Fraîche) en 1953.

Le cumin, donc, exacerbe la délicieuse capacité qu'ont les huiles essentielles des agrumes à prendre sur peau, au fil du temps, des inflexions beaucoup plus charnelles, boisées voire épicées, sensuelles et addictives, toujours un peu pétillantes, qu'on ne suspecterait pas devant ce départ souvent bien propret et frais.
Testez, un jour, sur peau, une huile essentielle de mandarine verte (diluée et pas en plein soleil, bien entendu !) et laissez-la se révéler... puis régalez-vous !
Ainsi, lorsqu'ils ne sont pas accompagnés d'une overdose de muscs blancs mais sertis de notes chaudes et électrisantes, les agrumes ne jouent plus aux saints. L'un des ingrédients les plus aseptisé sans doute, peut lui aussi revêtir des facettes charnelles... et Azemour nous le prouve bien !


Travail chimérique mêlant les genres et les classiques, Azemour est à cheval entre le chypre vert, l'eau fraîche et la cologne, entre modernité et rigueur classique. Facile à porter, plaisant et revigorant, ce parfum peut aussi bien accompagner une belle journée d'été à la campagne pendant les vacances, que notre cher  le banquier-avocat-trader-homme-d'affaire pour une journée au bureau !

Marc Antoine Corticchiato nous offre, avec cet opus, une histoire toute personnelle, comme il le dit d'ailleurs sur le site Osmoz.fr : "si toutes mes créations sont une partie de moi-même, celle-ci l’est tout particulièrement". Preuve également qu'au fil de ses création, cet auteur de contes olfactifs gagne en subtilité et en confiance, toujours en restant sur le fil du brutal/subtil. 


 

Jardin Noir, Tom Ford - Lys Fumé et Jonquille de Nuit

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Alors que vient de sortir la nouvelle collection annuelle de Tom Ford, quatuor intitulé "Atelier d'Orient", revenons plutôt sur la précédente série, "Jardin Noir", teintée d'une couleur chère au styliste américain.

Parmi Ombre de Hyacinth, Café Rose, Lys Fumé et Jonquille de Nuit, ces deux derniers sont sans doute ceux qui évoquent le mieux cette ambiance sombre et mystérieuse.



Lys Fumé - Fruit défendu...

Le lys semble revenir en force dans la parfumerie actuelle. Même s'il a marqué occasionnellement les sorties au fil des années (Un Lys, Lilly & Spice, Rubrum Lilly ...), il n'a jamais vraiment provoqué d'engouement comme la tubéreuse, le jasmin ou plus récemment le gardénia. Cependant, quelques récentes sorties comme Lys Fumé, Baiser Volé, la bougie Lys Casablanca, Lys Epona, Lys Soleia, Beige ou Vanille Galante le font revenir sur le devant de la scène.

Le traitement du lys est une chose délicate, car il apparait ne jamais faire l’unanimité au sein de la sphère des amateurs. "Mais ça ne sent pas le lys !" est une chose que l'on entend plus souvent d'un parfum construit autour de cette note, qu'un "ça ne sent pas la tubéreuse" ou un "ça ne sent pas le jasmin". Le gardénia semblerait être atteint du même syndrome d'ailleurs, comme le prouve les nombreux "Not a gardenia" de notre critique international Luca Turin.

Quid de ce Lys Fumé, donc ?

Du lys, il garde cette profondeur narcotique et enveloppante, tout juste épicée, cette épaisseur tendre et lactée, comme un pétale gonflé de désir.

Mais Lys Fumé ne joue pas sur la carte "fleur blanche" pour autant. En conservant des traits propres à cette famille, comme le narcotique ou le suave, elle préfère se draper de pétales noirs éclaboussés de prune et de bordeaux, jouer de sa robe en drapé d'un violet profond en la faisant voler par à-coups, et troquer ses facettes les plus florales contre des notes de fruits cuits qui pourrait lui donner de faux airs de gardénia, justement.
Poire compotée, pomme au four caramélisée, coing en réduction... Acidité d'une peau ayant accroché au fond d'une casserole en cuivre, contre chaire molle et sirupeuse juste sucrée comme il faut. Un contraste sucré/acide très justement dosé, envoûté d'un vent d'épices chaudes comme des paroles qu'on vous murmure à l'oreille, susurrées par une bouche vermeille.
A moins que celle-ci s'apprête à croquer dans ce fruit mûr à point, à la sensualité exacerbée par la vanille...

L'ambiance est feutrée, tendue de pourpre et de noir en velours. Dans ce salon tout juste éclairé de quelques bougies, les bouquets de lys sont bien là. Mais depuis quand ? Ils distillent déjà leurs derniers relents vanillés avant de se flétrir un peu plus, et leurs étamines pulsent les derniers grains poudreux d'un pollen à l'amertume qui tâche.



Jonquille de Nuit - Luminosité noire... 

Traiter la jonquille est un pari audacieux.
Déjà car c'est loin d'être une fleur qui fait rêver, mais aussi car, contrairement aux autres fleurs, son parfum ne fait pas partie de la "bibliothèque d'odeurs les plus courantes" de la personne lambda, contrairement à la rose, à la fleur d'oranger ou au jasmin, par exemple. rares sont les personnes qui revendiquent être à la recherche d'un parfum rappelant la jonquille !

Pourtant, l'inspiration est belle.
D'une fleur au jaune un peu criard réussissent cependant à naitre des brassées de rayons de soleil dans les froides journées de fin d'hiver. Pourquoi Tom Ford a choisi cette fleur plutôt qu'une autre ? Ça restera un mystère !
Et pourquoi la voir plutôt comme une créature nocturne ? Sans doute que la réponse se trouve dans l'interprétation olfactive de la jonquille.
La jonquille et le narcisse (à ne pas confondre) ont des parfums très différents. La première est plus fraîche et florale, de type jasminée, tandis que le second est beaucoup plus animal, cheval, foin vert, et aux notes florales tirant plus du côté de l'ylang.

Diane Kruger - theskinnystiletto.wordpress.com
Pour représenter sa jonquille, Tom Ford s'est donc servi d'un jasmin. Rien d'étonnant jusque là, me direz-vous. Mais justement, ce parfum n'a rien d'étonnant, il est simplement classique et élégant. Pas de fastes, de vanilles faciles, de oud clinquant, de bois synthétiques... Un jasmin ciselé de notes complémentaires dans les teintes jaunes pailles et lumineuses. Absolu de narcisse, notes anisées, absolu de mimosa, avec toutes les notes que ces matières nobles impliquent comme le tabac, le foin et le miel... du classique vous dis-je ! Le fond pourrait même rappeler Champs Élysée de Guerlain, par certains aspects du mimosa. 

Mais le noir dans tout ça ? Le nocturne ?
Il faut le trouver dans le personnage qu'incarne cette jonquille mortelle. Car ce parfum est celui d'une blonde incendiaire. Son suc vert anisé sent le poison. Fille de truand, épouse de gangster... et maîtresse de banquier, pour le bien d'une affaire !
Robe fourreau blanc cassé, visage angélique aux yeux dans lesquels on se noie, perles et fourrure si besoin, ses plaisirs sombres puent la poudre à canon et le cyanure.
Elle vit pour l'argent, pour la gloire, pour elle. Même ses compagnons de routes ne savent s'ils peuvent lui faire confiance.
Dans la nuit, elle capte chaque rayon de lumière, et tel un prisme sa beauté la fait rayonner. Son charme est certain, son caractère est noire, sa beauté est rayonnante, son aura est sombre.

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Avec cette promenade dans son Jardin Noir, Tom Ford nous invite une fois de plus dans son univers olfactif toujours aussi élégant, raffiné, recherché, soigné et étudié. Sans doute l'une des maisons offrant le plus de belles créations, autant dans le secteur plus confidentiel de la niche que sur le marché du mainstream, c'est aussi l'une de celles qui affichent les prix les plus élevés.
Justifié ? Non, je ne pense pas.
Surtout qu'il semble y avoir un petit problème quand même avec ces fragrances, aussi belles soient elles : leur évolution s'effondre quelque peu, soit parce qu'il manque quelque chose, un lien, entre deux partie du développement, soit parce que le fond tombe dans quelque chose de plus banal. 
Combien de temps resteront ces créations au catalogue ? Certainement plus pour très longtemps.
Il me tarde d'approfondir un peu plus mon avis sur la gamme suivante, "Atelier d'Orient", dans laquelle Fleur de Chine et Rive d'Ambre m'ont fait de l’œil.



Parfum rime avec Jardin - Chapitre 4 : Les Baies...

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C'est la rentrée !
Et qui dit "rentrée", dit "fin de la série de l'été".

Pour ce dernier chapitre, j'ai décidé de vous emmener vers des contrées un peu plus délicates en parfumerie. Des notes plus répandues que le lys ou l'acacia, beaucoup plus vendeuses aussi, car totalement dans l'air du temps. Pas moins jolies d'ailleurs, au naturel, ou en parfumerie lorsqu'elles sont bien exécutées ; elles souffrent malheureusement de préjugés qui leurs valent des regards souvent méprisant ou de dégoût de la part des perfumistas. Ces notes, ce sont celles de fruits rouges ou noirs, de baies, fraises, framboises, cassis, groseille et j'en passe...

Le fameux coin existe bel et bien ... !
Au fond du potager et des grandes lignes plantées de pommes de terre, de salades et de haricots, se cache un lieu au frais, paradis des enfants, petits ou grands pourvu qu'ils soient gourmands. Les pieds dans les fraisiers, les feuilles chargées de rosée, on s'accroupit sous les branches des groseillers chargées de grappes d'un rouge orangé lumineux. Le regard émerveillé comme au pied des gigantesques colonnes d'une cathédrale, on fixe avec envie ces petites boules translucides qui semblent réfracter la lumière rasante de cette matinée de juin. Nos doigts attrape une de ces baies aguicheuse. La peau rompt sous la dent et toute l'acidité fruité contraste avec l’astringence des pépins.
Il suffit de se tourner sur la gauche pour ramasser une poignée de framboises. Mon fruit préféré ! Duveteuses et mûres à point, le nez au dessus de ce délice, je m'enivre de leur doux parfum boisé ; violette, cèdre et pointe verte. Malheur lorsqu'une punaise, ou tout autre insecte d’ailleurs, a décidé de passer sur l'une de ces baies et d'y larguer une boule puante. Vous savez, cette verdeur âcre et cinglante, qui pourrait tout à fait être l'odeur d'un poison, qui met instantanément mal à l'aise et révulse le malchanceux qui tombe sur le fruit pollué. Ce goût qui reste sur la langue et qui nous stoppe instantanément dans notre euphorie.

Fruits rouges variés...
Alors que sous nos pieds continue de s'étendre le parterre de fraises des bois, qui développent leur parfum bien particulier de sucre et d'anthranylate de méthyle au fur et à mesure que la température monte, notre nez nous emmène plus loin, sur la droite.
Les grappes d'un rouge étincelant laissent peu à peu place à leur cousine plus sombre, à la robe d'un noir mat des cassis pulpeux. Alors, l'air s'emplit de leur parfum aromatique résineux, poivré et musqué. Les doigts qui se promènent sur leurs feuilles se retrouvent imprégnés de ce parfum à la fois fruité et soufré. Dans leur version fraîche, comparé à la groseille, le cassis et son arôme plus complexe, plus typé, plus intense, plus tannique également, plait plus difficilement. Et pourtant il fait fureur dans la parfumerie depuis quelques années.
La raison ? L'arrivée dans la palette du parfumeur de la fameuse "base cassis" de Firmenich, un cassis fruité et radieux, mais bien lifté comparé à la beauté rustre et complexe de l'absolu de bourgeon de cassis des Laboratoires Monique Rémy.
Seconde raison : comment reproduire le parfum de la groseille alors que c'est un fruit qui n'a pas d'odeur ? Oui, le chalenge peut être intéressant, Kenzo l'a fait avec le coquelicot dans Flower. Mais tandis que la personnalité du cassis repose sur de vraies particularités facilement identifiables et immédiatement reconnaissables, la groseille n'est qu'eau, acidité et âpreté tannique. Je serais le premier à vouloir relever le défi cependant. Mais il est évident que ce genre d'interprétation réfléchie, intellectuelle, disons le franchement, est loin de conquérir le marché actuel. Du moins pas dans le mainstream, et dans bien peu de marques de niche qui s'abaissent à la facilité.

Une seule maison, à ma connaissance, a réussi à se sortir des fruits dégoulinant de sucre et à proposer une baie rayonnante que j'identifie comme étant une groseille. Mais pas que...

C'est L'Heure Folle, une heure durant laquelle Cartier nous invite dans un jardin idéal et généreux, une heure où l'on abandonne tous nos soucis d'adultes et où l'on s'abandonne à l'insouciance et aux réminiscences.

Imaginez... Vous êtes dans ce coin de verdure que je tentais de vous décrire plus haut. Étendu dans le même parterre de fraisiers, les feuilles perlées de rosée respirent la fraîcheur. Il forme une assise moussue et verte, un peu râpeuse, base de ce moment bucolique où le temps suspend son vol. Éclat. Vous regardez vers le ciel d'un bleu infini les rayons du soleil qui passent entre les branches des groseillers ployant sous le poids de leurs grappes. Transparence. La lumière rougit par endroits lorsque certains rayons transpercent les petites boules gonflées de suc. Opacité. Les feuilles des framboisiers se froissent, et celles des cassissiers s'échauffent, entrelacées de chèvrefeuille fougueux et de roses anciennes au charme fou. Leurs parfums parviennent à votre nez et complètent ce tableau à l'aquarelle.




Trop souvent utilisées pour leur côté régressif, les notes de fruits rouges sont "casse-gueule" dans le sens où, à l'heure actuelle, les marques ont tendance à en mettre partout et à les surdoser en sucre, voire à prendre la version transformée : la confiture ou le coulis. Ce qui leur vaut bon nombre de préjugés et de connotations négatives.

Et pourtant !
Les notes fruitées sont aussi essentielles en parfumeries que les notes florales, animales ou boisées. D'ailleurs, toute la parfumerie repose sur l'alliance de ces quatre familles qui se répondent : le jasmin et ses notes de melon et de fruits possède aussi des inflexion animales de par ses indoles, le cèdre de l'atlas et son caractère confit est également ronronnant et félin...



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Retrouvez toute la série "Parfum rime avec Jardin" :

- Introduction : "De la Botanique et du Jardin"
- Chapitre 1 : Les Iris
- Chapitre 2 : l'Acacia
- Chapitre 3 : Le Lys
- Chapitre 4 : Les Baies

[Coup de Gueule] Lait d'Acacia, Le Petit Marseillais - Not an acacia ...

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Il y a quelques mois, Le Petit Marseillais, l'une des marques de gels douche la plus estimée par les perfumistas, nous annonçait l'arrivée d'un nouveau parfum dans sa gamme "Douche & Bain Extra Doux" en nous expliquant qu'il flottait "comme un parfum envoûtant dans l'air". Cette nouvelle fragrance intitulée Lait d'Acacia avait tout pour séduire les nez avertis, comme les plus novices qui connaissent bien l'odeur, justement envoûtante et tellement reconnaissable, de cet arbre dont je vous parlais dans le Chapitre 2 de la série de l'été.
J'étais donc piqué au vif et attendais avec impatience de pouvoir croiser l'un de ces flacons en magasin.

http://www.lepetitmarseillais.com/sites/www.lepetitmarseillais.com/files/logo.png?
Avant de parler de cette nouveauté, reposons le décor :
Le Petit Marseillais est une marque de produits cosmétiques, et plus particulièrement de bases lavantes (gels douches, shampoing, bains moussants...), respectable dans les choix originaux des parfums qui composent ses produits et le soin apporté à leur élaboration.
Le Mimosa et sa note verte, amère et légèrement poudrée, le Lait rappelant indéniablement les vieux parfums aldéhydés, le Lait d'Amande Douce véritable réminiscence des savons des années 90, le Miel de Lavandeà l'allure terriblement Guerlain, l'Aloé Vera et sa sève verte transparente et aqueuse, et Verveine et Citron et Orange et Pamplemousse incroyablement juteux et revigorants, ont, entre autres, très facilement conquis le cœur des amateurs de parfums, à la recherche de fragrances originales et soignées jusque sous la douche. 

Lait d'Acacia s’annonçait donc plutôt bien, et la photo dévoilée par la marque laissait bien prévoir un hommage aux grappes de fleurs miellées, poudrées et gavées de nectar du Robinier pseudoacacia !

 Cependant, cette nouveauté semble bien sonner le glas d'une marque qui s'abandonne maintenant peu à peu aux facilités d'un marché empoisonné par le conformisme et le besoin de vendre le plus possible au plus grand nombre. Et pour ce faire, rien de plus simple que de lancer le plus conventionnel : un vulgaire parfum fruité lacté qui colle bien à la tendance qui sature le rayon femme des parfumeries.

source : www.facebook.com/LePetitMarseillais

MAIS QUE FOUTENT CES PUTAINS DE NOTES DE FRUITS EXOTIQUES ET DE POMME DANS UN GEL DOUCHE A L'ACACIA ??? (non je ne suis pas énervé)


J'avoue ne pas y avoir cru, et avoir du prendre 4 ou 5 douches avec pour me persuader que, non, ce n'est pas mon nez qui avait loupé une note ou un effet dans la composition ! J'ai ensuite fait sentir le gel douche, en aveugle, à trois personnes, calées dans le domaine du parfum, qui m'ont rassuré en évoquant exactement les mêmes notes avant de se désoler aussi du tournant pris par Le Petit Marseillais.

"Bonjour, on prend le client pour un con. Oui oui..."

Problème n°1 (sans doute le plus évident) : la marque n'en a plus rien à braire de son identité et de sa cohérence passée, veut faire du chiffre, et lance son produit avec une note qui touchera à coup sûr la cliente lambda dans le Carrefour du coin.

 Problème n°2 (fort probable) : les responsables du développement du Petit Marseillais NE SAVENT PAS ce que sent réellement l'acacia.

Problème n°3 (très probable également) : les évaluateurs/trices chargées de la mise au point du parfum NE SAVENT PAS ce que sent l'Acacia et privilégient la note fruitée tendance qu'en plus ils/elles adorent sentir à longueur de journée dans leurs petits piluliers et sur la tête des cobayes.

Problème n°4 (que je n'espère pas véridique) : le parfumeur qui a développé ce parfum NE CONNAIT PAS l'odeur de l'acacia en fleurs. (j'ose espérer qu'il y avait d'autres propositions qui sentait vraiment l'acacia, mais qui ont été rejetées parce que ça n'était pas assez commercial)

Problème n° 5 : le parfum composant ce gel douche a simplement été pioché dans la bibliothèque de réserve de la société de composition mandatée par la marque, avec comme contrainte le Problème n°1, comme embuche le Problème n° 3, et comme variable le Problème n° 4.

Problème n°6 (vrai pour tous les secteurs de la parfumerie) : les évaluateurs chargés de faire le lien entre les parfumeurs/la société de composition et la marque cliente se foutent complètement de savoir ce que sent l'acacia et de coller au sujet ou non, tant que le produit obtiendra le succès escompté, et tant que la marque cliente signera le contrat. De toute façon, ce n'est qu'un parfum, ce n'est qu'un gel douche !

Vive le parfum, vive la parfumerie de masse... ce monde d'émotions, de souvenirs qui s'entrechoquent seulement grâce à une simple odeur. Ce monde où l'acacia sent la mangue, le fruit de la passion, la pomme et la papaye.

Le plus drôle ? C'est que le "lait d'acacia" prôné sur l'emballage pour ses vertus hydratantes et nourrissante, aux fleurs au parfum délicat et subtil, et "récolté à la main, entre mars et septembre, et de façon raisonnée" dans le sud de la France, est en fait, lorsqu'on regarde dans la liste des ingrédients, de l'Acacia saligna, et non du Robinier pseudoacacia, dont on extrait rien. Les mystères du marketing !


Cette réaction peut sembler extrême, mais elle est pourtant si révélatrice de l'état actuel de la parfumerie, du client pris pour un pigeon, pour un inculte, et justement révélatrice de l'inculture de l'homme face à l'un de ses sens les plus forts mais malheureusement le plus délaissé, que je ne pouvais me retenir de vous livrer ma déception.
Mais face à cette nouvelle amorce fruités/gourmande, qui ne m'étonne pas mais me désole, je ne doute plus de mes suspicions de reformulations sur certaines autres références de la gamme (Mimosas et Orange et Pamplemousse, notamment). Eh oui, même dans les gels douche !

Et me voilà maintenant avec sur les bras un flacon de 650mL de Lait d'Acacia. Tiens, je vais peut être aller le vendre sur eBay, et par la même occasion tenter d'y trouver un flacon de Mimosa vintage, qui sait...

Classique, Jean Paul Gaultier - Un classique chez Gaultier ...

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Robin, nez fin et étudiant en parfumerie à l'Ecole Supérieure du Parfum, est l'invité de Musque-Moi et prend ma place le temps d'un article, comme l'avait fait NezLik avec son billet traitant des notes amères en parfumerie. Un premier article, mais peut être pas le dernier ! 
En attendant, découvrez sa vision d'un "classique" des années 90, certainement aussi populaire que son pendant masculin, mais à côté duquel on passe certainement un peu trop vite. Et peut être avons-nous maintenant assez de recul pour s'y replonger ?


20 ans... Depuis 1993, Classique (EDT) de Jean-Paul Gaultier est acheté, exporté, illuminé, emballéoffert, fabriqué, et a contribué à sublimer l’image du "luxe à la française".  En effet, il a su profiter d’un marketing solide et dépensier : 6 pubs dont 2 avec Le Mâle, un court-métrage (On The Docks), souvent mis en avant dans les parfumeries, des coffrets, des déclinaisons en crèmes, shampooings, gels douche, eaux d’été et j’en passe... Mais pas seulement !
Au-delà de ça, Classique perdure grâce à deux qualités complémentaires : c’est un beau parfum et un parfum beau.

source : www.jeanpaulgaultier.com

Un beau parfum

Classiqued’abord appelé simplement Jean-Paul Gaultierest un floriental (ou un floral ambré ou un oriental fleuri, à vous de voir) principalement marqué par la fleur d’oranger et la vanille.
Un départ hespéridé dominé par la fleur d’oranger, qui restera présente tout au long de l’évolution du parfum, donne le ton à cette fragrance. Opulent, son cœur floral est fait d'un bouquet de fleurs blanchesylang ylang, tubéreuse, œilletnotes rosées et irisées, ainsi que de légères notes de gingembre et de cannelle, appuyant le caractère de cette fragrance. En fond, un aspect poudré et lacté - poudre de riz - provient d'un accord entre la vanille, l'iris, l'ylang, les muscs et probablement quelques lactones.
Il en résulte un parfum des plus féminins, gracieux, élégant et capiteux, d’une sensualité folle. Sa grande force est qu’il a su, contrairement à certains parfums, séduire tous les âges : de 15 à 60 ans, il plait pour son ultra-féminité, son caractère discret, sa douceur miellée et son odeur cosmétiqueToutes les saisons sont prétextes à le porter, il n’est pas dans l’excès : ni trop puissant, ni trop discret.

Un parfum beau 
Un flacon en verre à la teinte beige dont la forme épouse les courbes d’une femme habillée d’un corset.
Il est fort à parier que ce flacon fut inspiré par celui du parfum Shocking (1937) de Schiaparelli, au verre épais et transparent, figurant un buste féminin, un mètre de couturière autour du cou formant l’étiquette et au bouchon orné d’un bouquet de fleurs multicolore.
56 ans séparent les deux flacons, pourtant il est sûr qu’au-delà de ça, l’univers d’Elsa Schiaparelli a assurément influencé celui de monsieur Gaultier.  Un autre parfum de silhouette féminine a vu le jour vers 1950 mais peu d’exemplaires ont été commercialisés : Naughty ‘90s de Milart, un flacon formant un buste habillé d’un corset en dentelle rose et noir.

Shocking, Schiaparelli - Source : liveauctioneers.com

A l’heure où la bourgeoise aurait tendance à se noyer dans La vie est belle ou La petite robe noire, et où la "wesh" abuse de Lady Million et de Loverdose, toutes deux abruties par une bonne dose de matraquage publicitaire efficace, Classique apparait comme un retour  aux codes de la féminité traditionnelle : beaucoup de fleurs, un zeste d’épices et d’agrumes et enfin de la DOUCEURallégée en notes sucrées. 
En 2012, Classique est en 10ème position des parfums les plus vendus en Europe, 17ème en France.
To sum upmesdemoiselles, mesdames, si vous ne le possédez pas encore, je vous le recommande…



Cocobello, James Heeley - Noisette de coco ...

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La coco serait une des nouvelles notes à la mode ?
Il semblerait bien, à voir Lolitta Lempicka se risquer sur ce chemin avec son tout nouveau Elle L'Aime, nouveau grand féminin de la marque après Le Premier Parfum devenu un classique, Si Lolitta et quelques sorties soignées mais qui n'ont pas rencontré le succès espéré ( L'Eau en BlancL ... ). Dans le secteur plus confidentiel, c'est James Heeley qui a voulu se frotter à cet exotisme pouvant vite paraître cliché, avec son dernier parfum : Cocobello.


Comment qualifier l'odeur naturelle de la noix de coco ?
Si on la qualifie inévitablement de "lactée", elle est bien plus que ça. S'intéresser au parfum d'un élément naturel, c'est également, et surtout, le prendre dans son ensemble. Le figurer dans l'univers, le paysage, duquel il est tiré, en saisir la symbolique, mais aussi faire appel aux autres sens pour en tirer une appréciation la plus complète et possible, encore plus lorsque cette matière première est comestible. Grâce à cette façon d'appréhender l'odeur, je qualifierais la coco de "lactée", bien sûr, mais "boisée, huileuse et salée" pourraient également lui convenir, selon mon rapport personnel à l'odeur. "Salée" par la sensation qu'elle procure en bouche, comme son lait aqueux et nourricier, "boisée" lorsque elle se présente avec sa fine pellicule brune, un peu rêche et amère, et "huileuse" comme sa chaire tendre, blanche, laiteuse et grasse.

Bien trop souvent, la représentation de la noix de coco en parfumerie ne s'appuie que sur l'un de ces adjectif : le lacté. 

Et c'est compréhensible, car c'est ce qui fait toute sa particularité, et cette facette laiteuse est facilement retranscrite par des matières de synthèse appelées lactones, comme la nonalactone-gamma (= aldéhyde C18), la jasmolactone...
Mais lorsqu'il est question de traiter la noix de coco en solinote, comme c'est le cas dans Cocobello, il n'est plus question de s'arrêter à une matière, ou une facette, "cliché". James Heeley est allé piocher dans les trois registres décrits plus haut. C'est ce qui fait de Cocobello une interprétation inédite et jamais vue de la noix de coco.


Cocobello, James Heeley - Source : tienda.jeperfumes.com

Cocobello mêle les notes lactées et boisées (surtout), grâce au cèdre et au santal. L'alliance des deux crée l'illusion, sous le nez, d'une noisette fraîche, peut être même un peu verte, et qui a la particularité de stimuler les papilles gustative et mettre l'eau à la bouche. Le fond boisé prend de faux airs d'Autoportrait, d'Olfactive Studio, par ses facettes cèdre.

Le parfum serait presque automnal si une facette salée inédite, parfaitement dosée et équilibrée dans la composition, ne venait pas relever le tout. La note florale (le gardénia est revendiqué dans la pyramide officielle), qui fait respirer le parfum, reste discrète mais semble essentielle pour apporter un esprit solaire estival, inévitable à un fruit aussi exotique que la noix de coco. 

La puissance des notes lactées hautement dosées ici, en laisseront sans doute plus d'un sceptique. Et pourtant, le parti pris risqué a été parfaitement exécuté, et doit être salué selon moi. Une belle surprise en cette fin d'année qui a été bien pauvre en nouveautés remarquables aussi bien en parfumerie de niche, qu'en parfumerie grand public.


[Coup de Coeur] Mito, Vero Profumo - Dessine-moi un sourire...

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En 2012, la pétaradante Vero Kern, notre parfumeuse italiano-franco-suisse adorée, nous présentait Mito, son nouveau bébé, et quatrième opus de sa collection Vero Profumo.

Avec cette dernière création, rendant hommage aux jardins de la villa d'Este à Tivoli, Vero nous enchante une fois de plus avec son envie de remettre sur le devant de la scène des parfums inspirés, travaillés, généreux et authentiques. Plus que jamais, l'inspiration-hommage aux parfums anciens est évidente. Clin d’œil à Cristalle, Vol de Nuit et Miss Dior, cette promenade euphorisante sous les magnolias en fleurs d'un jardin à l'italienne est clairement un revival des glorieux chypres verts des années 1940 à 1970.

Citron juteux et rayonnant, dessinant un sourire éclatant sur un visage rieur en se liant à un galbanum croquant et à une étincelle anisée. Éclat radieux des fleurs en bouquets, généreuses et opulentes, se muant en une sensualité douce et envoûtante, charmeuse et charnelle.
Charnelle, surtout dans sa version "extrait". Dans cette concentration inédite, le jasmin et le magnolias rieurs de l'eau de parfum laissent place à la tubéreuse, fatale et ensorcelante, déconcertante de douceur hypnotique, esquissant alors un Poison de Dior, habillé et rafraichi d'une verdeur persistante. Mais c'est sans doute sa déclinaison en "voile d'extrait", reprenant la formule de l'extrait mais en concentration "eau de parfum", qui sied le mieux à cette variante autour de la tubéreuse. Tout y est plus moelleux, fondu, charnel et riche et surtout plus vivant et respirant, choses qui manqueraient presque à l'extrait, en raison de la concentration. L'envolée verte est toujours bien présente et tenace, tandis que les fleurs se fondent peu à peu dans l'animalité suave du champaca.

Des trois, je crois que le "voile de parfum" est celui qui me plait le plus !

Vero dans son jardin fantastiue - source : fragrantica

Même si Mito rappelle bon nombre de parfums anciens, sa personnalité lui est propre : Vero Kern a réussi à insuffler au chypre vert, archétype du parfum rigide et pète-sec, une chaleur, un air enjoué et avenant, une joie et une générosité qui me rappelle à chaque fois la bonne humeur et le sourire si attachant de sa créatrice.

C'est d'ailleurs pour tout cela, et pour bien d'autres raisons encore, que Mito a fait sensation lors de l'Olfactorama 2012, en remportant en avril dernier le Prix de la Virtuosité.


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Ne manquez pas l'interview à venir de Vero Kern, que je vous réserve pour tout bientôt !

[Coup de Coeur] La Fille de Berlin, Serge Lutens - Rose féline ...

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Que se passe-t-il lorsque deux perfumistas tombent dingues d'un même parfum ? 
D'abord ils en parlent brièvement au détour d'une conversation animée sur le parfum, évidemment. Ensuite ils le re-testent dans leur coin. Alors les SMS fusent : "je l'ai re-testé, je l'aime vraiment", "je l'ai porté hier avec une robe noire et un rouge à lèvre rouge, j'ai A-DO-RÉ ", "il me le faut je crois !" ; ou encore : " pu*°# il est dans la phase de son évolution que j'adooooore !!!". Et inévitablement : "je ferais bien un article dessus !".
Alors avec PoivreBleu, suite à notre dernier coup de cœur commun pour La Fille de Berlin, on s'est dit qu'une publication en parallèle, à l'aveugle, pourrait être une bonne idée pour croiser nos ressentis, se compléter et varier les points de vue.  Et pour rendre l'exercice plus amusant, nous ne nous sommes absolument pas consultés pour savoir comment nous allions aborder le parfum et comment nous l'interpréterions. 
Nos avis seront-ils complètement différents ou bien se rejoindront-ils ? Pour le savoir, rendez-vous aussi ici pour lire l'avis de Juliette.
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Plantons le décor : une rose.
Bien... déjà, cette esquisse féminine partait avec de mauvais atouts pour me séduire !

Pourtant son dédale de pétales que je ne soupçonnais pas allait me rendre fou.

Oui, l'actrice principale de cette tragédie est cette rose rouge sang, à l'image de ce jus rubis qui remplit le flacon. Mais passons, ne s'attarder que sur la fleur, qu'on l'aime ou non, serait passer à côté d'une rose bien différente.

Imaginez... 
La Fille de Berlin - source : sergelutens.com


Elle est déposée là, dans ce vase froid en soliflore qui dessine quelques reflets glaçants vert émeraude. "On la met là car c'est sa place", dit-on. "Mettez-moi là car c'est ma place", ajoute-t-elle. Pas de surprise, en bonne fille elle répand dans cette pièce son parfum suave. "Je suis d'une fraicheur végétale un peu verte, un peu douce, un peu fruit, un peu rose... je me ferais presque passer pour une églantine". Cette fraîcheur rosée, d'un vert tendre un peu amer et très naturel, semble si convenue ; mais son épaisseur et la pointe glaçante et épicée d'une giroflée acérée qui la transperce ne laissent pas de doute. Elle vous susurre à l'oreille : "mais je préfère qu'on m'appelle Justine".
Une rose tirée des récits de Sade ? Droite, fière, la tête haute au sommet de sa colonne vertébrale de vert et d'épines, on ne sait plus si elle est la sage vertueuse ou la perfide tentatrice. "Je suis celle que vous voulez. Après tout, où est la différence ?". Ses phrases assassines sont autant des regards fardés de noir que des lèvres teintées de pourpre, des "suivez-moi jeune homme", comme un décolleté plongeant carnassier, comme une chute de reins dans une robe couture, mais avec un je-ne-sais-quoi d'inquiétant. Et elle serait, pour sûr, la tentatrice, si ce nuage de violette qui poudre ses joues blanches et ce jus de framboise qui coule dans sa gorge de porcelaine ne venaient pas apporter leur touche d'innocence pour troubler le tableau.

Passés les premiers instants, marqués par son jeu de sainte malsaine, une fois que vous lui avez tourné autour, curieux, intrigué, appâté, elle va pouvoir se dévoiler. Véritable mante religieuse en diable. Une garce ?
Cette pièce noire est peut être sa chambre. Peut être est-ce sa tombe ? La vôtre ? Dans la noirceur si épaisse que cette pièce ne semble pas avoir de mûrs, son rouge de velours cramoisi est si intense et saturé de désir qu'il irradie une chaleur hypnotique dans la fraîcheur ambiante. Elle vous plante un doigt dans le dos, un bâton de rouge à lèvres tiré de son sac en un éclair est placé sous votre gorge : "tes désirs sont mes ordres !"

La fille de Berlin ? - source : annantan.tumblr.com

L'ongle descend le long du flanc, et laisse s'échapper de la peau lacérée quelque gouttelettes de sang. Un à un s'effeuillent les premiers pétales, juvéniles, à mesure que vous vous approchez de son coeur. Elle vous aspire au creux de ses pétales les plus charnus. Son épaisseur moite n'est plus seulement végétale. Elle s'animalise, s'excite, mène la cadence de ce jeu qui l'amuse tant, sans jamais aucune fausse note, aucun dérapage : elle a sa fierté. Le chignon reste droit, le lipstick ne déborde pas, et le menton reste haut. Ce n'est pas une fille facile. C'est une reine.

Puis tout à coup elle s’alanguit et se drape d'une fourrure. Une épaule blanche qui s'habille d'un voile de muscs troublants, à l'odeur de pelage de chat. A la fois minéral et épicé ; doucement animal. La rose ainsi sexy se fait féline. Elle s'insinue sur la peau, vous imprègne de sa douce sueur de vin, de santal et de miel.

Et elle ne bougera plus. Comme stoppée dans son élan, ces quelques nuages de poudre rubis, d'épices charnelles, de muscs fruités, seront ses derniers mots :

"J'ai ainsi marqué ta peau au fer rouge de mes pétales"


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Oui, on peut encore faire de beaux floraux fruités !
Mais allons plutôt voir ce qu'en a pensé Poivre Bleu ...

[Interview] Vero Kern - Vero.profumo

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Pour compléter l'article au sujet du dernier parfum de Vero.profumo, Mito, qui a fait l'objet d'un article il y a peu, je voulais joindre une interview de sa très attachantecréatrice : Vero Kern
Elle a immédiatement répondu présente avec sa bonne humeur qui la caractérise tant, et a réussi à trouver un peu de temps entre ses nombreux salons italiens et ses multiples présentations,  pour répondre à mes questions. Questions, qui, je l'espère, vous permettront de mieux connaitre son mode de création, ses inspirations, ou tout simplement vous donneront envie d'aller découvrir ses quatre fragrances, déclinées chacune en trois concentrations inédites.
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Vero Kern - source : sorceryofscent.blogspot.fr

- Mito mûrissait dans votre esprit depuis quelques temps déjà, ou bien est-ce une inspiration toute récente ? 
C'est la visite dans les jardins de Tivoli,  qui est l'inspiration qui se cache derrière ce parfum. C'était en 2009. Une expérience profonde et touchante.

- Vero, avouez-nous que vous avez mis un peu de vous dans Mito. Votre sourire peut être ? Ou au moins tout votre amour !
Ce jardin "renaissance" de la Villa d’Este, à Tivoli, lieu magique, m'a rappelé mon enfance : l'émerveillement et les rêveries d'un enfant, le monde imaginaire des elfes, des nains et des d'autres créatures mythiques, la croyance naïve au miracle de la vie, le trou de lapin d'Alice au Pays des Merveilles, et tant d'autres histoires... Tout cela est contenu dans Mito ; ce parfum est un sourire d’enfant !

- Votre collection apparait un peu comme un OVNI dans la parfumerie actuelle, et même dans la parfumerie de niche. Mais pour le coup, les amateurs adorent !
Mes parfums pourraient effectivement apparaitre comme un anachronisme dans le paysage de la parfumerie. Ils ne sont ni modernes, ni vieux. Ils sont très têtus.

- Comme vous ?
Oui

"Les parfums sont 
un prolongement du «soi»"


- Vous entretenez un rapport assez étroit avec les passionnés et les adeptes de vos parfums il me semble.
Je crée, tant il est vrai, pour moi et le résultat fascine en fait les amoureux de parfum. Ils m'apportent de la joie et c'est un plaisir de communiquer avec eux au sujet de mon travail. 

- Les parfums du passé, les grands classiques, sont-ils une source d'inspiration essentielle pour vous ?
J'aime les parfums classiques. Pour moi, ils étaient toujours l'expression d'un certain Zeitgeist(*), de l'élégance et de l’avant-garde, d’un artisanat magistral et créatif, et surtout de l'identité et de la personnalité. Les parfums d'aujourd'hui se portent de banals vêtements. Aujourd'hui ceci et demain cela, le matin encore autre chose que le soir.
Pour moi, les parfums sont un prolongement du «soi», une condensation de la personnalité, de son propre style et je travaille sur des fragrances qui mettent l'accent sur ces aspects. Je ne pourrais jamais m'imaginer créer un produit de masse. Même dans la parfumerie artisanale. Ce serait pour moi une vulgarisation totale. C'est pourquoi je suis et je serai toujours très excentrique dans mes parfums !

- Comment se traduit cette excentricité ?
L'excentricité dans ce cas se réfère à ma décision particulière de créer en aucun cas des produits de masse. Jamais ! Peut-être qu’on peut parler ici plutôt de manque de compromis au lieu d'excentricité. 

- Votre apprentissage du métier semble y être pour beaucoup dans cette appréhension et ce goût pour les classiques.
Effectivement ! J'ai eu la chance d’apprendre le métier aux côtés de Monique Schlienger, dans les années quatre-vingt-dix chez Cinquième Sens à Paris. Elle avait été elle même formée par Jean Carles, chez Roure à Grasse. Je peux dire que ma formation par Monique Schlienger a définitivement influencé mon style. Dès lors, je savais que je voulais créer uniquement ainsi, dans ce style classique.
Plus tard, j'ai visité plusieurs fois et longuement l’Osmothèque, à Versailles. En ce lieu magique, je me laissais présenter et expliquer les parfums par Jean Kerléo et Jeannine Monguin, qui, par chance et pour mon plus grand bonheur, étaient encore sur place. Ils m'ont ouvert le champ olfactif du passé, des parfums Coty, Houbigant, Balmain, Guerlain, Patou, Schiaparelli, Dana, Caron et Lubin.
J’ai étudié les structures et les matières premières de ces œuvres. Ainsi, j'ai pu profiter et apprendre à fond de ces deux parfumeurs expérimentés, et connaisseurs de cette grande ère du parfum qu'étais le XXème siècle. C’était le bonheur total!



- En parlant de grands parfumeurs : vous vous sentez plutôt Jean Carles (Miss Dior, Tabu, Ma Griffe...) ou plutôt Germaine Cellier (Vent Vert, Cabochard, Fracas...) ?
J'adore le style et les créations de ces deux parfumeurs. Mais il serait présomptueux de me comparer à eux. J'essaie sans cesse de développer mon propre style. 

- Comme eux, êtes-vous plutôt intuitive et empirique (Cellier) ou méthodique et appliquée (Carles) ?
Je fais mon choix pour un nouveau parfum de façon très intuitive. J'entends par là que je n'ai pas de plan de création. Je suis guidée par des fantasmes de toutes sortes, par des thèmes qui me fascinent totalement et que je voudrais ensuite interpréter olfactivement.

Pour la mise en œuvre, le côté plus technique, j'utilise la méthode Jean Carles, comme je l'ai apprise chez Cinquième Sens.
- Pouvez-vous nous dire quelques mots sur ce qui se passe en coulisses ? Vous nous avez laissé sous-entendre que le prochain Vero.profumo serait une rose. Mais quel genre de rose ?
Je travaille effectivement sur un parfum avec une forte composante de rose. Cela signifie que la rose fait partie de l'ensemble de la création, mais elle est déformée par des éléments, des composants supplémentaires. Ce sont des parfums comme Nahema ou Chamade qui m’intéressent. D’une part, ils sont rosés, mais ont également une sensation abstraite, très lumineuse. J’adore ce type de création.

J'entends déjà des nez qui frétillent rien qu'à l'évocation de Chamade et Nahéma. Nous somme tous très impatients de sentir ce que pourrait donner une rose par Vero Kern, abstraite et inspirée de grands classiques.
Que diriez-vous d'un petit "portrait chinois", histoire de terminer sur une note légère cette interview ?


Vero Kern - source : La Gardenia nell'Occhiello
Si vous étiez...

Une Couleur ? 
Le vert émeraude.  
Un animal ? 
Un singe.
Une fleur ? 
Un iris noir.
Un élément naturel ? 
Le feu.
Un pays ? 
L’Écosse.
Une ville ? 
Istanbul.
Une matière première de la parfumerie ? 
L'absolu de fleur d'oranger.
Si vous aviez vécu à une autre époque ? 
Pendant les Années Folles !
Si vous aviez créé un parfum d'une autre marque ?
Poison, de Christian Dior.



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(*)Zeitgeist : terme emprunté de l'allemand et signifiant "dans l'air tu temps". Il dénote le climat intellectuel ou culturel d'une époque.

Parfum en société... ce diable invisible !

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Le parfum révulse autant qu'il fascine et intéresse. Peut être même plus. C'est le constat que nous avons pu faire à plusieurs reprises avec des amis, dans différents lieux, avec des personnes de cultures et de natures très différentes.

Avez-vous déjà croisé un groupe de perfumistas, que ce soit dans la rue, dans le métro, ou au restaurant ? Ou peut être que dans ces perfumistas, il y a VOUS !
Généralement, ce n'est pas à la vue qu'on les repère, mais au nez, et accessoirement aux oreilles. Au nez car leur sillage surpuissant a de quoi mettre à genoux la Vie et Belle. A l'oreille, aussi, car ils braillent parfum dans tous les sens, avec de grands gestes de mouillettes, en se reniflant le cou et les poignets en éructant des choses incompréhensibles comme "ça sent l'cul" ou "on sent trop le DHM et l'IBQ", sous le regard médusé, interrogateur, souvent amusé des passants.

Mais même s'ils sont d'apparence joyeuse, ces perfumistas, vivant d'odeurs et d'eau fraîche, souffrent. Ou tout du moins, ils font le constat d'une société qui regarde le parfum en coin, une narine froncée et une moue au coin des lèvres. Avec ce rejet des odeurs, bonnes de surcroit, cela est révélateur de l'état actuelle de la parfumerie, ou au moins l'explique en partie.

Le simple fait de sortir 3 mouillettes et un flacon autour d'une table dans un restaurant vous vaudra, au mieux un simple regard accusateur de la part des serveurs, au pire un très gentil "écoutez, vos trucs là, ça pue jusqu'à l'autre bout du restaurant, ça dérange les gens qui mangent, alors vous êtes priez de les ranger ou de partir"(vécu).
Mais pourquoi une telle diabolisation du parfum ? Les mouillettes étaient faites depuis plusieurs jours, et rien n'avait été vaporisé à l'intérieur de la salle. L'air sentait seulement le fromage fondu de la spécialité du chef et le poisson bouilli. A la limite, les parfums que l'on sentait le plus provenait de nos cols qui s’entrebâillaient pour laisser s'échapper d'exquises odeurs. A part vaporisés juste sous le nez, les parfums n'ont jamais empêché quiconque de manger. Les romains, d'ailleurs, arrosaient les tables d'eau de roses et d'aromates à l'occasion de leurs banquets, et lâchaient des colombes imbibées de parfum pour qu'elles laissent tomber sur les convives de fines gouttelettes parfumées. Le bon vieux temps, diront certains !

Mais dans le métro, il y en a aussi qui ont bon goût ...

Ne parlons même pas du métro, ou de tout autre moyen de transport, et des voisins de strapontin qui sentent le stand aux poissons du marché de Juvisy par un après-midi de juin et qui osent se déplacer en se cachant le nez parce que vous avez eu le "malheur" de vous parfumer un peu trop ce matin, ou d'utiliser un parfum qui ne réponde pas aux codes actuels de la parfumerie de masse. La banalisation des fragrances au sucre et aux fruits n'y est pas pour rien. Le formatage olfactif est une dure réalité.
A cela s'ajoute le besoin de trouver "un parfum doux et léger, que je sente mais qui ne dérangera pas les gens autour de moi" comme le disent beaucoup de personnes à la recherche d'un nouveau flacon. Quand on sent le sillage nucléaire de Invictus ou de La Vie est Belle, on se dit qu'heureusement, tout n'est pas perdu (trouvons quand même en ces deux parfums quelque chose de positif !).


Parfois, je déprime seul sur mon strapontin en réfléchissant à tout ça. Esseulé car parfumé.
Mais vous me comprenez vous. N'est-ce pas ?

Et vous, quelles sont vos tristes constats sur cette société qui renie le parfum ?

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